Pression de toutes parts sur la BCE
Aujourd’hui, nous retiendrons une interview donnée par le membre autrichien du conseil des gouverneurs de la BCE, Robert Holzmann, au quotidien économique allemand Handelsblatt. Dans cette entrevue, Holzmann touche à l’un des principes de base de la Banque centrale européenne : le respect de la séquence dans la politique de communication. Cela fait déjà quelque temps que la BCE laisse entende qu'elle ne relèvera ses taux qu’une fois que les achats nets d’obligations (souveraines) auront pris fin. Holzmann veut couper ce lien et se donner les mains libres au niveau des taux pour faire quelque chose face au niveau élevé de l'inflation. Si le marché n’a pas réagi à la provocation d'Holzmann (pour le moment isolé), nous sommes tout de même tentés de faire un lien entre cette sortie et des évolutions économiques et d'autres commentaires de membres de la BCE tout au moins aussi marquants. Tous suggèrent que quelque chose commence à bouger à Francfort.
La patronne de la BCE, Christine Lagarde, s'est exprimée vendredi dernier. Dans les médias, nous avons pu lire beaucoup de titres du genre "les achats dans le cadre du Programme d'achats d'urgence face à la pandémie prendront fin en fin mars" et "très peu probable que la BCE relève son taux directeur en 2022". Nous nous sommes concentrés sur une autre nuance : "la BCE suit l’évolution de l’euro avec l’attention nécessaire." Il s'agit ni plus ni moins d’une intervention verbale par rapport au taux de change. Depuis la mi-novembre, le cours EUR/USD est passé de 1,16 à 1,12. En juin, il était encore question de 1,22+. La faiblesse persistante de l’euro risque de raviver l’inflation, surtout si le rythme de la dépréciation s’accélère. En Hongrie et en Pologne, les banquiers centraux ont récemment de nouveau plaidé en faveur d’une accélération ou du lancement d'un cycle de resserrement des taux, face à l'affaiblissement de la devise. Lagarde reconnaît d'ailleurs que le taux de change constitue un risque inflationniste supplémentaire.
Tous les signes d'une possible normalisation de la politique ne sont pas aussi voilés. Si le site de la BCE, une interview avec le numéro deux de l'institution de Francfort, Luis de Guindos, titre "la vigilance est de mise". Difficile de faire beaucoup plus clair que cela. Sous l'ancien président Jean-Claude Trichet, le terme "vigilance" était synonyme d’un relèvement imminent des taux d’intérêt. De Guindos met clairement en garde contre l’accroissement des risques financiers découlant de la politique de taux extrêmement bas et les risques d’une spirale salariale haussière, les fameux effets de second tour de l’inflation. La plupart des négociations salariales ont été reportées à fin 2021, début 2022, en raison de la pandémie. Comme Lagarde, de Guindos a déclaré que les taux ne seraient probablement pas rehaussés en 2022, mais il a ajouté que tout était ouvert pour la suite.
Outre la faiblesse de la devise et l’éventuelle spirale salaires/prix, les chiffres actuels de l’inflation (4,9 % en glissement annuel en novembre) et la menace du variant omicron (offre plus longtemps perturbée) vont pousser la BCE à revoir fortement à la hausse ses prévisions d’inflation pour cette année et 2022. Au lieu du taux de 1,7 % encore prévu en septembre, le nouveau chiffre pour l’année prochaine sera probablement largement supérieur à 2 %. Le revirement de la Fed de Jerome Powell par rapport à l’inflation rajoute encore une pression supplémentaire sur la BCE pour qu’elle revoie également sa balance des risques. Dans ce contexte, nous pensons qu'il est peu probable que la BCE s’engage à procéder à des achats supplémentaires dans le cadre de son programme d'achats d'actifs standard (APP) (provisoirement 20 milliards d’euros par mois) après mars 2022. Que ce soit au niveau des montants ou au niveau de la durée. Nous en saurons plus jeudi prochain. Pour l’instant, les marchés des taux et des changes européens préfèrent toujours voir avant de croire.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC