La banque centrale australienne dans le collimateur du marché des taux
Ces jours-ci, les marchés des taux d’intérêt se comportent comme une meute de loups: ils encerclent le membre le plus faible du groupe de plus en plus réduit de banquiers centraux qui refusent de prendre le chemin d’une normalisation de la politique, s’accrochant mordicus au scénario d’une inflation “temporaire”. Après la banque centrale polonaise en septembre et une première feinte visant la BCE la semaine dernière, la Reserve Bank of Australia (RBA) se retrouve dans le collimateur.
La RBA applique un taux directeur de 0,1%. Elle part du principe que l’évolution des taux d’intérêt ne changera pas sur l’horizon de politique (2024), le marché de l’emploi n’étant pas assez solide pour générer une inflation structurellement plus élevée de par la dynamique prix/salaires. Pour enfoncer le clou, elle veille à maintenir un plafond de 0,1% sur l’extrémité courte de la courbe des taux australienne. Dans la pratique, l’obligation d’État à échéance avril 2024 est la limite. Par conséquent, si le taux d’intérêt sur les obligations à court terme augmente en direction de 0,1% ou au-delà, la RBA interviendra en tant qu’acheteur ciblé de ces obligations spécifiques. Ainsi, la RBA se distingue actuellement de la plupart des autres banques centrales qui mettent en œuvre des programmes d’achat d’obligations plus étendus.
Mais la semaine dernière, la RBA a déjà dû faire face à un essor du taux d’intérêt sur l’obligation de référence: dans le cadre d’un repositionnement global marqué des taux, cela fait une semaine qu’elle a dépassé le seuil autorisé de 0,1%. Le gouverneur Lowe a su temporairement alléger la pression à force d’interventions, mais ce matin, c’est à nouveau le branle-bas de combat à la suite de la publication des chiffres d’inflation du 3e trimestre. Tout comme au 2e trimestre, l’inflation australienne a grimpé de 0,8% en glissement trimestriel, mais est retombée de 3,8% à 3% sur une base annuelle. Plus important encore, l’inflation de base sous-jacente s’est accélérée contre toute attente, passant de 0,5% en glissement trimestriel à 0,7%. Sur une base annuelle, elle est passée de 1,6% en glissement annuel à 2,1%, de sorte qu’elle cote dans la zone cible d’inflation de 2%-3% de la RBA pour la première fois depuis le dernier trimestre de 2015.
Quant au taux d’intérêt de l’obligation d’avril 2024, il a grimpé d’environ 10 points de base pour atteindre plus de 0,20%. Sur un segment plus rapproché encore de la courbe, les obligations à partir de l’échéance de novembre 2022 cotent au-dessus du plafond de 0,1%. Le marché des taux place son pari à l’approche de la réunion de politique de la RBA la semaine prochaine. Le marché présume que la RBA s’apprête à céder à son tour, dans un contexte d’inflation de base plus élevée et de forte croissance (sans oublier l’évolution des marchés des matières premières). Dans un premier temps, la RBA devrait renoncer au contrôle du segment court de la courbe; ensuite, elle devrait procéder à des relèvements de taux. Le taux d’intérêt sur la prochaine obligation après avril 2024 (échéance de novembre 2024) dépasse déjà 0,90%, et les taux du marché monétaire australien tiennent compte de plusieurs (!) hausses de taux en 2022. Au début du mois, le dollar australien avait déjà profité de la hausse des prix des matières premières. Ce matin, il a testé le niveau de résistance AUD/USD 0,7532, qui représentait encore la limite inférieure de la marge latérale au premier semestre. Pour l’instant, il n’y a pas de rupture à la hausse. Cela fait quelques temps que le marché des changes adopte une attitude plus réactive que proactive. Vis-à-vis d’un euro faible, le plancher annuel de 1,5253 constitue la prochaine référence. L’enjeu de la réunion de politique du 2 novembre – qui promet également de nouvelles prévisions de croissance et d’inflation – est clair.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC