Sévère avertissement pour la Fed
La symbiose entre l’analyse fondamentale et l’analyse technique peut être belle. Cette semaine, les chiffres de l’inflation dans les pays européens ont poussé le taux allemand à 10 ans au-dessus du niveau de résistance de 2,55 %/2,57 %. Et l’accélération technique nous a déjà amené à 2,75 % aujourd’hui. L’appel des premiers 3 % depuis juin 2011 est fort. Du côté européen, le travail a provisoirement été fait. D'ici la prochaine réunion de politique de la BCE (le 16 mars), l’agenda n'est plus très chargé. La BCE a promis un relèvement de 50 points de base, mais elle attend officiellement les nouvelles prévisions économiques. Officieusement, le doute n'est plus de mise : le taux directeur sera à nouveau relevé de 50 pb en mai.
Le contexte en Europe laisse une place pour une éventuelle correction à court terme des taux d’intérêt. Mais... il faut aussi tenir compte de la partie américaine de l'équation. Or, le taux américain à 10 ans vient de franchir pour la première fois depuis novembre dernier le cap psychologique des 4 % (sommet cyclique de 2022 : 4.33%). De plus, l’agenda est encore bien rempli de l'autre côté de l'Atlantique, avec la publication des chiffres économiques cruciaux suivants au cours des prochaines semaines : l’indice ISM de confiance du secteur des services ce vendredi, les chiffres du marché de l’emploi la semaine prochaine et les chiffres de l’inflation dans deux semaines. La Réserve fédérale américaine se réunira une semaine après la BCE (le 22 mars).
Il y a quelques semaines, nous avons émis l’idée que la Fed pourrait à nouveau procéder à un relèvement de 50 points de base lors de cette réunion de mars. Depuis, le marché anticipe une intervention de 25 %. Nous pensons que la Fed n'aura pas le choix. Sauf dérapage économique d'ici là, un relèvement de seulement 25 points de base pourrait entraîner une pression à la vente supplémentaire sur la partie longue de la courbe obligataire américaine. Et ce, pour une mauvaise raison (pour la Fed). Toujours dans ce raisonnement, revenons à hier et au moment où le taux américain à 10 ans a atteint le niveau de 4 %.
L’indice ISM de confiance dans l’industrie manufacturière s’est stabilisé, comme prévu, autour de 47,7. Pour rappel, un niveau inférieur à 50 est synonyme de contraction dans le secteur. Les détails font toutefois état de la première hausse des coûts de production depuis septembre. Dans un même temps, le président de la Fed d’Atlanta, Raphael Bostic, a déclaré que le taux directeur devait se maintenir à un pic de 5-5,25 % jusque fin 2024. Jusqu’il y a peu, cette promesse aurait retenu toute l’attention. Les marchés ont en effet pendant longtemps anticipé des baisses de taux avant fin 2023. Désormais, c'est le niveau de ce pic qui se trouve au centre de l'attention. Et selon les marchés, celui-ci est... BIEN TROP BAS. Depuis deux semaines, la dynamique sous-jacente des taux à 10 ans montre à nouveau une hausse des prévisions d’inflation. Comme l’année passée, le marché va plus vite que la Fed et estime qu'avec ses "promesses" actuelles, la banque centrale ne parviendra pas à contenir l’inflation. "Behind the curve", comme on le dit dans le jargon. D'où le sentiment qu'un relèvement de la Fed de "seulement" 25 points de base pourrait entraîner une hausse indésirable de la partie longue de la courbe par le biais d’une hausse des prévisions d’inflation au lieu d’une hausse des taux réels (objectif ultime pour freiner la demande et l’inflation).
La dynamique de marché de ces dernières semaines rappelle le pire cauchemar de la Fed et l’erreur capitale commise à la fin des années 70 : le ralentissement/arrêt prématuré du cycle des taux dans un contexte d’inflation structurellement élevée marque le début d’une longue course de rattrapage. Et celle-ci ne pourra se terminer que d’une seule manière : avec de solides conséquences économiques.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC