Première confrontation à la réalité
Vendredi, nous décrivions dans cette chronique la divergence de plus en plus marquée entre le positionnement du marché et les intentions des banquiers centraux. Contrairement aux indications de la Fed et de la BCE, les marchés misent de plus en plus sur un recul économique ‘inévitable’ qui entraînerait la fin/le renversement rapide du cycle de resserrement. La Fed devrait même abaisser ses taux dès le second semestre, afin de ne pas freiner inutilement la croissance. Or ce positionnement unilatéral en faveur d’un scénario ‘inévitable’ a justement fragilisé cette inévitabilité, comme nous l’avons vu vendredi.
Le rapport officiel sur l’emploi aux États-Unis (les payrolls) et l’indice ISM de confiance du secteur des services ont constitué un premier ‘reality check’ pour la divergence de vues entre les marchés et la Fed. Les deux rapports ont répondu aux attentes du consensus, avec une marge rare. Le nombre d’emplois aux États-Unis a augmenté en net de plus d’un demi-million (517k) en janvier! Les statistiques du second semestre 2022 ont été revues à la hausse. Le taux de chômage est retombé à 3,4%, son niveau le plus bas depuis 1969. Comme prévu, les salaires ont augmenté de 0,3% en glissement mensuel et de 4,4% en glissement annuel. Les données peuvent parfois être imprécises, mais cette fois, la marge est trop importante pour qu’il s’agisse d’une erreur. Quant à ceux qui doutaient encore, un autre argument frappant leur a été présenté une heure et demie plus tard. L’indice ISM de confiance avait suggéré un possible recul de l’activité en décembre, mais il s’agissait d’un dérapage ponctuel. En janvier, la croissance a de nouveau été solide (55,2 contre 50,5 attendus), soutenue par une reprise de l’output et des nouvelles commandes (tant en Belgique qu’à l’étranger). La pression sur les prix reste élevée (67,8).
Mercredi soir, le président de la Fed Powell a déclaré que l’inflation commençait à refroidir dans le secteur des biens, et qu’une diminution des frais de logement pourrait s’ensuivre. Jusqu’à nouvel ordre, la Fed doit cependant continuer à lutter contre les pressions sur les salaires et les coûts beaucoup trop élevés dans le reste du secteur des services, qui représente environ la moitié du panier d’inflation. Quod erat demonstrandum. Les taux américains ont gagné jusqu’à 18 points de base sur la partie courte de la courbe et le mouvement se poursuit ce matin. Le marché accepte à contrecœur qu’un relèvement du taux directeur à 5% (et au-delà) n’est pas une idée si folle. Les taux européens ont suivi, quoiqu’à distance, avec surtout des taux plus élevés sur des durées plus longues (30 ans + 12,5 points de base).
Les bonnes nouvelles économiques ne l’ont pas été pour les bourses (Nasdaq: -1,59%). Pour les marchés, les taux d’intérêt demeurent au moins aussi importants, voire plus, que les résultats ou la perspective d’un regain d’activité. Le sentiment d’aversion au risque et la hausse des taux américains ont redynamisé le dollar. Le cours EUR/USD est passé de 1,09+ à un niveau proche de 1,08. La remontée au-dessus de 1,10 ne s’est finalement pas réalisée. Si cette humeur se maintient, le billet vert pourrait encore reprendre des couleurs. Le cours EUR/USD 1,0735 (sommet de décembre) est le premier point de référence sur les graphiques. En cas de rupture, la zone 1,0484/1,0461 (plancher de 2023/38% correction de septembre/sommet) sert de prochain niveau de soutien/résistance au dollar après 1,068 (23%).