Franc suisse inarrêtable... ?
En période d’incertitude se pose inévitablement la question de savoir quelle devise peut jouer le rôle de valeur refuge.Sur le marché des changes, le dollar s'est bien comporté cette année. Le billet vert a renforcé son statut de refuge grâce à des taux plus élevés liés à l’espoir de voir la Fed commencer ses resserrements l’année prochaine. Ces derniers jours, le yen a un peu mis le nez à la fenêtre, profitant de la correction des taux américains due au variant Omikron. Mais la devise japonaise a tout de même déjà perdu plus de 10 % par rapport au dollar depuis le début de l'année. Le franc suisse est en revanche une devise qui a bien performé et qui a toujours le vent en poupe à l'heure actuelle. Il a ainsi perdu moins de 4 % par rapport à un dollar qui, jusqu’à la semaine dernière, bénéficiait pourtant d’un différentiel de taux de plus en plus avantageux. La devise suisse affiche par ailleurs une appréciation d’environ 4 % par rapport à un euro, certes faible, cette année. C’est surtout sa forte progression depuis septembre qui est frappante. Hier, le cours EUR/CHF est passé de 1,09+ à 1,0425.
Le franc ne s'est pas uniquement renforcé vis-à-vis de l’euro en période de tensions sur le marché, comme c'est le cas actuellement. Il a aussi continué de progresser en octobre/début novembre, lorsque le sentiment vis-à-vis du risque était positif. Deuxième constat : la banque centrale suisse (SNB) est toujours officiellement prête à intervenir pour freiner une trop forte appréciation de la devise, mais on sent qu'elle n'est pas très disposée à déployer les grands moyens. Les dépôts hebdomadaires en CHF auprès de la SNB, un bon indicateur des interventions sur le marché des changes, sont calmes depuis plusieurs mois.
Les mouvements d'une devise comme le CHF ne sont pas toujours dictés par l’économie intérieure. Toutefois, la SNB peut probablement se satisfaire de la situation actuelle. L’économie suisse a progressé de 1,8 % en glissement trimestriel et 4,1 % en glissement annuel au troisième trimestre. L'activité a ainsi atteint un niveau supérieur à celui d'avant la pandémie, Le taux de chômage est retombé à 2,7 % et, malgré la vigueur de la devise, le pays affiche un confortable excédent commercial. L’inflation reste faible (1,2 %) par rapport à d’autres pays, mais pour la SNB, c'est déjà une bonne chose que celle-ci se situe un peu plus haut dans la fourchette de 0 % à 2 %. Bref, la SNB n’a pas vraiment de raisons de gonfler encore la taille de son bilan, déjà assez conséquente. Une détérioration du taux de change due à une dépréciation de la devise ne sera d'aucune aide dans le contexte actuel. Cela ne fera qu’augmenter les prix des matières premières importées.
Concernant cette appréciation du franc, nous avons l’impression que la SNB est surtout attentive au rythme avec lequel la devise se renforce. La hausse de 4 % par rapport à l’euro pourrait sembler vigoureuse. En regard de l’écart d’inflation (différence également au niveau des coûts internes avec l’UE donc), la hausse se justifie d'un point de vue fondamental. Cet écart d’inflation, via les taux réels, est probablement aussi l’une des raisons pour lesquelles le franc se porte bien. Une comparaison un peu rudimentaire porte le taux directeur réel suisse (taux à -0,75 % moins 1,2 % d’inflation) à -1,9 %. Dans l’UEM, le taux de dépôt affiche -0,5 %, moins une inflation de 4,9 % ! La différence est considérable, surtout si l’on compare l’approche orthodoxe de la SNB à la fonction de réaction toujours incertaine de la BCE.
Nous continuons de penser qu'une hausse (relative) des taux réels dans les grands pays réduit l’attrait de devises comme le yen et le franc. L’inflation élevée dans l’UEM, mais aussi en Europe centrale par exemple, pousse toutefois les taux réels à un niveau tellement bas que les marchés des changes ne peuvent plus l'ignorer. La dynamique des taux réels, qui complique la vie du forint, du zloty et de l’euro, joue provisoirement en faveur du franc. La SNB n’accordera pas de sauf-conduit au marché. Des interventions (au moins) verbales sont possibles quelque part entre le cours actuel (EUR/CHF 1,0425) et 1,00. Pour inverser fondamentalement la tendance, il faudra toutefois surtout que les taux réels grimpent en dehors de la Suisse. Il faudra pour cela que l’inflation baisse et/ou que les taux d’intérêt augmentent. Mais il n'y a actuellement encore aucun signe qui va en ce sens. Le franc suisse se trouve pour l’instant sur une bonne pente (alpine).