En toute connaissance de cause
Commençons notre rapport d'aujourd'hui par ce constat : le cours USD/JPY se trouve juste en dessous du cap magique de 150. Et la probabilité que ce seuil sera franchi à la fin de ces colonnes est grande. La volonté de la banque centrale japonaise de protéger sa devise de dégâts supplémentaires s’est considérablement estompée après le mois dernier, mais la banque a cependant récemment déclaré qu'elle était prête à intervenir. Le 22 septembre, le ministère des Finances, en charge des interventions sur le marché des changes, a déjà dépensé 15 % de ses réserves directement disponibles pour éviter que le cours USD/JPY n’atteigne 145. Deux semaines plus tard, ce niveau a tout de même été franchi. C’est devenu une tendance récurrente. Des pays comme la Corée du Sud, l’Inde, le Chili ou le Ghana ont également fait appel, en vain, à leurs réserves de devises pour éviter que la faiblesse de la devise faible n'alimente encore plus l’inflation. La banque centrale tchèque est l’exception qui confirme la règle.
La bataille est perdue d'avance au vu de la toute puissance du billet vert. Depuis mars, le dollar bénéficie d’un soutien croissant des taux d’intérêt. Et ce n'est pas encore fini. Les marchés et les gouverneurs de la Fed voient le taux directeur culminer à 5 %, contre 3-3,25 % à l'heure actuelle. Plus l’alternative sûre est attrayante, plus la prime exigée par les investisseurs sur les placements plus risqués est élevée. Si le reste du monde ne fait que suivre le rythme de la Fed, leurs devises doivent alors en payer le prix. Dans le cas du Japon, nous sommes même confrontés à une banque centrale qui s'obstine à maintenir une politique monétaire extrêmement souple. Outre le taux directeur négatif, la Banque du Japon achète aussi des obligations en vue de plafonner le taux à 10 ans - en pratique autour de 0,25 %. Ce décalage monétaire a de lourdes conséquences. Depuis le début de l'année, le yen a perdu environ 23 % par rapport au dollar. La lire turque est également une victime des circonvolutions de sa propre banque centrale, avec un recul de près de 29 % sur une base annuelle. Cet après-midi, la banque centrale turque devrait, pour la troisième fois consécutive, abaisser son taux directeur de 1 point de pourcentage, de 12 % à 11 %. Au milieu de l’année dernière, ce taux s’élevait encore à 19 %, au grand mécontentement du président Erdogan. Après quelques changements à la tête de la banque centrale, l’homme a aujourd'hui ce qu’il veut. Un taux plus bas, malgré une inflation de 83,5 % en glissement annuel. Et une dépréciation de la lire en cadeau. Des réserves de change ont déjà été jetées par les fenêtres l’année dernière pour essayer de protéger la devise.
Plusieurs pays d’Amérique latine prouvent que la dépréciation n'est pas une fatalité. Des devises telles que le réal brésilien, le peso mexicain ou le sol péruvien surperforment ainsi le dollar américain depuis le début de l’année. On pourrait pourtant supposer que ces devises sont particulièrement vulnérables en cas de hausse des taux américains, de volatilité sur les marchés et d'aversion pour le risque. La principale différence avec les pays cités dans le paragraphe précédent réside dans la fonction de réaction des banquiers centraux. Ceux-ci se sont montrés beaucoup plus réactifs face aux risques d’inflation. Une fois que le seuil de 5 % est dépassé, une sonnette d'alarme se déclenche. Contrairement aux pays occidentaux, il ne faut pas remonter aux années 1970 pour retrouver de telles poussées d’inflation. La recette pour protéger la devise consiste à relever les taux beaucoup plus rapidement et beaucoup plus que la Fed. Dans la plupart de ces pays, le taux directeur réel est également positif et la dynamique d’inflation commence même à ralentir.
Comme promis, nous revenons sur le cours USD/JPY. Le graphique est éloquent. Le ministère des Finances japonais durcit le ton en connaissance de cause. Pour le temps que cela durera...
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC