Les temps changent, y compris sur le marché des changes...
L’année dernière, nous sommes déjà arrivés à plusieurs reprises à la même conclusion : « the times they are changing ». Ce constat vaut certainement aussi pour le marché des changes. Le dollar franchit les niveaux techniques les uns après les autre. Hier, l’indice pondéré des échanges commerciaux (DXY) est passé au-dessus de son sommet cyclique de juillet (109,3), atteignant ainsi son niveau le plus élevé depuis mi-2002. Lecours USD/JPY a franchi le cap psychologique de 140 et tourne à des niveaux qui n’avaient plus été observés depuis 1998 ! Le cours EUR/USD avait pour sa part déjà franchi un niveau de support comparable de 1,0341 plus tôt dans l'année et tente désespérément d’éviter de nouvelles pertes sous la barre de 0,99. La raison de la vigueur du dollar est aujourd’hui connue de tous. La Fed est la première à s'être lancée dans un cycle de resserrement monétaire. En outre, la devise américaine profite à nouveau pleinement de son statut de valeur refuge. Le contraste avec l’or, par exemple, est flagrant. Cet actif, qui ne produit pas d’intérêts, ne parvient pas du tout à rivaliser avec le billet vert. La rupture de plusieurs niveaux techniques suggère en outre que l'appréciation du dollar ne va pas s’arrêter de si tôt et qu'elle pourrait même connaître un nouvel élan.
En attendant, il est frappant de constater que l’évaluation du rôle de la monnaie, y compris par les banques centrales, a discrètement mais fondamentalement évolué en relativement peu de temps. Avant le Covid, et même pendant la première phase de l’ère coronavirus, presque tout le monde se satisfaisait d’une devise faible. Cela cadrait parfaitement avec l'idée selon laquelle une inflation trop basse était l’expression d’un manque de demande économique et en partie la cause de ce manque. Dans un premier temps, la stimulation de la demande via la création de monnaie n’a pas entraîné une hausse des prix en raison de facteurs structurels (internationalisation, concurrence, etc.). Le déséquilibre entre l’offre et la demande dû au Covid a cependant rebattu les cartes. L'idée initiale selon laquelle le Covid constituait un risque déflationniste – avec, pour conséquence, d'importantes mesures de soutien fiscales et monétaires – s’est avérée fausse. Les marchandises et les matières premières se sont raréfiées. Celui qui, dans un tel contexte, continue à créer relativement beaucoup de monnaie sape son propre pouvoir d’achat. Il a fallu du temps pour que l'idée fasse son chemin, mais il est désormais clair qu’une devise faible ne stimule pas la demande, mais a plutôt pour effet de saper le pouvoir d’achat et la croissance. À cet égard, il est frappant de constater à quel point la vigueur de la devise n'a pas vraiment soulevé de protestations, que ce soit aux États-Unis ou en Suisse, ou même de la part des entreprises exportatrices. Le fait qu'une devise forte permet d'amortir la flambée des prix des matières premières et des autres biens importés constitue un facteur de stabilité bienvenu.
Il est également frappant de constater que la Fed ne dit pas un mot sur la vigueur du billet vert. C’est toujours bon à prendre. Il en va autrement en Europe. La BCE est de plus en plus interrogée sur la valorisation de sa devise. C’est ainsi qu'Olli Rehn, membre du conseil des gouverneurs de la banque centrale, a encore admis la semaine dernière, en marge de Jackson Hole, que la valorisation de l’euro prenait de plus en plus d'importance dans la liste des facteurs déterminants pour la politique de l'institution. Cela plaide en faveur d'une accélération des relèvements de taux. Une nouvelle dépréciation de la devise pourrait également convaincre de ne pas attendre trop longtemps avant d'initier le débat sur la réduction progressive du bilan de la BCE. Si l’inflation résulte en partie d’un excédent d’euros par rapport au nombre de biens disponibles, résorber cet excédent du marché pourrait alors aider. Aux États-Unis, cette opération a atteint sa vitesse de croisière cette semaine. La Fed retire désormais 95 milliards de dollars du marché tous les mois, en ne réinvestissant pas les obligations arrivées à échéance. Ce serait certes simplifier beaucoup les choses que d'établir un lien univoque entre l’excédent de liquidité et la faiblesse relative d’une devise, mais tout de même...