Friction sur la ligne: les marchés et (le président de) la Fed ne s’entendent pas
un nouveau relèvement majeur de 75 points de base. La fourchette cible du taux des fonds fédéraux est de 2,25%/2,50%, un niveau neutre selon le président Powell. Il s’agit du niveau auquel l’économie n’est ni stimulée, ni freinée, bien que les spécialistes puissent discuter du taux auquel il correspond.
Quoi qu’il en soit, d’autres resserrements s’imposent toujours. Le taux d’inflation reste beaucoup trop élevé et le marché de l’emploi est extrêmement serré. Powell discerne les premiers signes d’un refroidissement au niveau des dépenses, mais pour lui, la vigueur du marché de l’emploi est un signe que l’économie n’est pas (encore) en voie de récession. C’est pourquoi l’atténuation du taux d’inflation reste la priorité absolue. À terme, une inflation plus modérée garantit aussi un marché de l’emploi sain. Powell ne s’est pas prononcé sur le rythme des relèvements de taux à venir. La “forward guidance”, qui était encore il y a peu un outil essentiel du kit des banques centrales, ne fonctionne plus. Dans le contexte incertain actuel, les décisions sont prises d’une réunion à l’autre, sur la base de l’évolution ponctuelle des données. Si nécessaire, la Fed pourrait encore relever le taux de 75 points de base en septembre, alors même que Powell avait prévu un ralentissement “logique” de l’évolution des taux plus tard dans l’année. Sans s’engager dans un sens ou dans l’autre, le président de la Fed a indiqué que les prévisions de taux (dots) de juin constituaient toujours un bon point de repère. Celles-ci estimaient le taux directeur à 3,4% à la fin de cette année et à 3,8% à la fin de l’année prochaine.
Suite à la dynamique des prix récente, le marché a fait preuve d’un peu plus de sélectivité vis-à-vis des arguments du président de la Fed. Les commentaires relatifs à un ralentissement sont interprétés comme des références à un point de basculement éventuel, ce qui a poussé les taux à la baisse (à 6 pb). D’ici la fin de l’année, les taux du marché monétaire restent plus ou moins conformes aux dots de la Fed. Après un sommet aux alentours de 3,25%/3,50%, le marché table toutefois déjà sur des baisses de taux de l’ordre de 50 pb pour l’année prochaine. Pourtant, Powell n’a pas parlé d’une pause, et encore moins d’abaissements de taux. Il est clair que le marché se fonde sur un scénario où la lutte contre l’inflation deviendrait secondaire par rapport à l’impératif de soutien à la croissance. Le marché a toujours raison… mais la baisse des taux d’hier trahit tout de même une lecture quelque peu orientée du message neutre et attentiste de la Fed. Par ailleurs, il est frappant de constater que la baisse des taux d’intérêt est due à une forte baisse des taux réels. Les prévisions d’inflation ont même bondi (+11 pb à 10 ans!!!). Il n’est pas concevable que la Fed s’en réjouisse. La baisse des taux (réels) a pesé sur le dollar et le cours EUR/USD est revenu vers 1,02. Les bourses américaines ont réagi avec euphorie (Nasdaq: +4,0%). Pour les actifs à risque, une mauvaise nouvelle (affaiblissement de la croissance, mais taux beaucoup plus bas/conditions monétaires plus souples) est toujours aussi un peu une bonne nouvelle. Là encore, nous doutons qu’il s’agisse de la réaction que la Fed espérait.
Cet après-midi, nous recevrons déjà un premier signal important relatif à la santé de l’économie américaine, sous la forme d’une première estimation de la croissance au deuxième trimestre. Après un chiffre négatif au premier trimestre, il devrait y avoir eu une croissance modeste (0,5% en glissement trimestriel sur une base annualisée). Toutefois, une récession technique (deux trimestres consécutifs de croissance négative) n’est pas à exclure. Powell a fait de son mieux pour nuancer une telle issue de manière préemptive, en soulignant notamment l’importance de la composition de la croissance (par ex., l’impact des stocks). Mais vu la façon dont le marché réagit ces temps-ci, il faut s’attendre à des turbulences en cas de rapport décevant.