Pas de répit pour l’économie mondiale
“Pas de répit pour l’économie”. C’est l’incipit du rapport annuel à la fois remarquablement direct et pessimiste de la Banque des règlements internationaux (BRI), la “banque centrale des banques centrales”. En effet, alors que l’inflation s’accélère de plus en plus, la voie vers un “atterrissage en douceur” s’est considérablement étrécie. Si nous voulons éviter de nous retrouver dans un environnement ou “régime” d’inflation structurellement élevée, les banques centrales doivent procéder à des interventions rapides et musclées, quel que soit le coût économique.
La psychologie de l’inflation
La BRI souligne le risque d’un changement (durable) au niveau du régime d’inflation. Elle considère que l’inflation n’évolue pas de manière linéaire, mais qu’elle bascule d’un régime à l’autre. Dans un régime de faible inflation, l’inflation est plutôt un bruit de fond: son évolution dépend alors de chocs de prix temporaires, spécifiques à un nombre limité de produits. Comme ces chocs revêtent un caractère provisoire et sont généralement d’une ampleur limitée, les banques centrales peuvent garder l’inflation sous contrôle. Cela fait longtemps que l’économie mondiale connaît un tel régime d’inflation “bénin”.
Selon la BRI, cette situation est clairement en train de changer. Les économies avancées risquent de basculer dans un régime d’inflation élevée persistante. Ce type de transition survient lorsque le comportement des agents économiques vis-à-vis de l’inflation (la psychologie de l’inflation) change. La BRI estime que c’est actuellement le cas. Des chocs de prix importants, larges et persistants (l’énergie…) affectent le pouvoir d’achat des ménages et augmentent les coûts pour les entreprises. L’inflation n’est plus un bruit de fond, mais devient la note dominante. De ce fait, “l’inattention rationnelle” vis-à-vis de l’inflation que nous connaissons dans un régime de faible inflation disparaît, laissant place à des comportements économiques axés sur la compensation des pertes dues à l’inflation (perte de pouvoir d’achat, perte de bénéfices). Dans un monde où il y a pénurie sur le marché du travail et où les entreprises ont un grand pouvoir de fixation des prix, comme c’est le cas maintenant, cette situation peut rapidement entraîner une spirale salaires-prix incontrôlable. Tel est l’argument clé de la BRI: le régime de faible inflation est mis à rude épreuve.
Une douleur temporaire (mais intense?)
Pour éviter un tel régime d’inflation élevée, il est essentiel de parvenir à une “normalisation” rapide de la politique monétaire (et budgétaire). Cela ira inévitablement de pair avec une certaine dose de “douleur économique”. Et ce, encore plus qu’au cours d’un cycle de resserrement normal, étant donné que la politique de taux d’intérêt bas a entraîné des prix élevés sur les marchés financiers et des niveaux d’endettement record. Ces vulnérabilités rendront les hausses de taux très “onéreuses” sur le plan des dommages économiques secondaires. Les simulations illustratives réalisées par la BRI suggèrent que le coût du resserrement monétaire qui a déjà été annoncé se chiffrera à environ 1,5% du PIB. Or un resserrement plus extrême (comme début 2000), ce qui est certainement aussi un scénario réaliste, porterait les coûts économiques à 3% du PIB. Pour la BRI, un scénario de stagflation, dans le cadre duquel l’inflation persistante se doublerait d’une stagnation, voire d’une récession économique, n’est pas à exclure. Comme nous l’avons dit, ce rapport annuel n’est pas des plus optimistes. Mais en appuyant là où ça fait mal, la BRI pose le bon diagnostic!