La résurrection de la BCE
Sur les marchés financiers, tout tourne autour des attentes. Au cours de la dernière décennie, les banquiers centraux ont quasiment mis sur un même pied d'égalité leur stratégie de communication, mûrement réfléchie, et la mise en œuvre effective de leur politique. Pour éviter les surprises et les dérapages, tout le monde est informé à temps des modifications à venir. Un scénario récurrent qui rappelle une tactique largement utilisée dans le cyclisme. Envoyer quelques pions à l'avant afin de préparer le terrain pour le leader de l'équipe pour la fin de la course. Soit nous avons regardé trop de courses ces dernières semaines, soit la BCE est actuellement en train de mijoter quelque chose qui y ressemble. Martins Kazaks, Joachim Nagel, Pierre Wunsch et Luis de Guindos – respectivement à la tête des banques nationales lettone, allemande et belge et vice-président de la BCE – sont les équipiers (de luxe) qui ont été envoyés à l'avant. À la présidente, Christine Lagarde, de terminer le travail demain lors de son "keynote speech" devant le prestigieux Peterson Institute for International Economics.
Au début de la semaine, nous étions encore en train de crucifier la BCE. La réaction du marché (affaiblissement de l’euro, raidissement de la courbe des taux) après la réunion de politique de la semaine dernière équivalait à une motion de méfiance face à l’attitude trop laxiste de la banque dans sa lutte contre l’inflation. Demain, Lagarde aura l'occasion de sortir de sa grotte (Covid). Pour aller encore un peu plus loin dans le parallèle, nous lui accorderons également une quarantaine de jours pour expliquer que tout ce qui s’est passé devait se passer. Et tourner enfin la page. Lors de la réunion de politique du 9 juin, elle pourra aussi mériter son Ascension.
Avant d’aller encore plus loin, revenons sur le cœur du problème. La Banque centrale européenne a mis notre patience à rude épreuve, mais l'heure a enfin sonné. Les membres de la BCE envoyés en éclaireurs ont, l'un après l'autre, fixé rendez-vous à la réunion de juillet pour un premier relèvement des taux. Les achats nets pourraient s’arrêter en juin. Le sacro-saint principe de l'approche séquentielle sera ainsi respecté. Les nouvelles prévisions de croissance et d’inflation justifieront cette normalisation en juin. Mais les gouverneurs de la BCE vont encore plus loin. Ils ne veulent en effet pas s’opposer au marché. Cela signifie donc que la banque pourrait se lancer dans un véritable cycle de resserrement et non dans un simple cycle de normalisation (jusque 0 %). Qui dit "relèvements progressifs" ne dit pas nécessairement lenteur. Les taux du marché monétaire européen intègrent actuellement trois relèvements de taux de 25 points de base d'ici la fin de l’année. Vu les fonctions de réaction des autres banques centrales, la machine ne s'arrêtera pas directement après avoir été mise en marche. La BCE se réunira encore quatre fois au second semestre. Selon les prévisions, le taux directeur devrait culminer au-dessus de 1,5 % en 2023.
Les marchés ont bien reçu les signaux de la BCE ce matin. Si nous évoquions encore une motion de méfiance la semaine dernière, nous observons aujjourd'hui un sursaut de confiance. Les taux européens affichent une hausse de 10 points de base sur la partie courte de la courbe. Le taux à 10 ans a quant à lui gagné 5 points de base. La semaine dernière, l’euro risquait encore de s’effondrer (<1,08) après la réunion de la BCE, mais il profite aujourd'hui d'un nouveau soutien. Le cours EUR/USD est passé de 1,0820 à plus de 1,09. Le premier véritable niveau de résistance ne se situe qu’aux alentours de 1,1121/85.