La balance penche clairement dans un sens
Officiellement, les banquiers centraux ont mis de côté la « forward guidance » (convaincre le marché de leurs intentions, y compris à plus long terme). Ce sont maintenant les chiffres (de l’inflation) qui guident leur politique. Une dépendance aux données, donc. Ce n’est pas nouveau, mais nous avons l’impression que nous sommes revenus à un régime de « market guidance », où le marché dicte aux banques centrales ce qu'elles doivent faire. Celles-ci ne voient toutefois pas les choses de la même façon.
Le 22 mars – le choc initial provoqué par l'effondrement de SVB avait déjà été digéré à ce moment-là -, la Fed a de nouveau relevé ses taux de 25 points de base. Powell et ses collègues ont évidemment ajouté qu’ils tiendraient compte des éventuelles conséquences des turbulences financières sur l’octroi de crédit. Pourtant, tous les gouverneurs sauf un se sont accordés à dire que les taux allaient encore devoir être rehaussés d'au moins 25 points de base et qu’aucune baisse de taux ne serait envisagée cette année. Entre-temps, le calme est revenu dans le secteur financier. Au début de cette semaine, le taux américain à 2 ans est passé d’un plancher de 3,60 % à 4,15 %. Depuis, nous sommes déjà revenus à la case départ. La raison ? Des statistiques américaines décevantes trois jours d'affilée. Lundi a été marqué par la publication d'un indice de confiance ISM de l’industrie manufacturière américaine faible. Cela n'a toutefois rien de nouveau. Le secteur manufacturier est en effet toujours à la recherche d’un nouvel équilibre après le boom post-pandémie. Mardi, le rapport JOLTS a fait état d'un recul du nombre de postes vacants à « seulement » 9 931 000 aux États-Unis (à comparer aux 5,9 millions de chômeurs). La pression diminue, mais les tensions sur le marché de l’emploi vont-elles pour autant disparaître subitement ? Hier, le secrétariat social ADP a annoncé que « seuls » 143 000 emplois supplémentaires avaient été créés dans le secteur privé en mars (210 000 attendus). Enfin, last but not least, l’ISM du secteur des services s'est contre toute attente replié, de 55,1 à 51,2, Un niveau toujours synonyme de croissance, mais celle-ci est moins forte que prévu. Nous n’allons certainement pas fermer les yeux sur ce rapport (nous devons évidemment aussi penser en fonction des données), mais en décembre, l’indice était déjà retombé à 49,2 avant de revenir rapidement à 55. L’ISM reste également un « indicateur de sentiment », qui a par hasard été pris dans le tumulte provoqué par l'effondrement de SVB. En attendant au moins une sorte de confirmation.
Pour le marché, ce n’est clairement pas nécessaire. Celui-ci joue sans la moindre hésitation la carte de la récession. Pour la réunion de janvier de l’année prochaine, il anticipe ainsi déjà un taux directeur de 3,75/4,00 %. Dans ce scénario, la Fed a arrêté de relever ses taux et les aurait déjà abaissés de 100 points de base au cours des 9 prochains mois ! En attendant, l’inflation de base du mois de mars (chiffre publié mardi prochain) est toujours attendue à 0,4 % en glissement mensuel, portant ainsi à nouveau le taux en glissement annuel à 5,6 %. Or, l’objectif d’inflation est toujours, selon nous, fixé à 2 %. Si les payrolls prévus demain déçoivent également, il y a de fortes chances que le marché poursuive sur sa lancée. Pourtant, la balance (sur le marché des taux) penche déjà très clairement dans un sens bien précis.
Terminons par un autre constat. Hier, les bourses n’ont pas profité de la baisse des taux d’intérêt. Le paradigme « mauvaises nouvelles = bonnes nouvelles » est visiblement en train de s'essouffler. Reste à savoir également si les actifs à risque vont augmenter si les taux d’intérêt repartent « contre toute attente » à la hausse en cas de nouvelles plus favorables. Ce paradoxe pourrait également ralentir la baisse du dollar, certainement à court terme. Malgré le spectre de la récession (aux États-unis) (ou est-ce justement grâce à lui ?), le cours EUR/USD est repassé de 1,0950+ à 1,09 hier, après la parution des chiffres US. Le niveau de résistance de EUR/USD 1,1033 est peut-être légèrement plus solide que ce que la récente dynamique négative du dollar a laissé présager.