Plus ça change?
Depuis deux semaines, la fonction de réaction des marchés a encore changé. En janvier, ils jugeaient que des mesures drastiques de durcissement monétaire entraîneraient inévitablement une récession. Or un cycle de statistiques américaines robustes (des payrolls étonnants, pas de récession dans les services, un taux d’inflation plus élevé que prévu, d’excellents résultats du commerce de détail) les a fait changer d’avis: ils comprennent qu’ils n’ont pas grand-chose à gagner à prendre le contre-pied des indications des banquiers centraux. Ainsi, de nombreux marchés se rapprochent de points de basculement techniques. Vendredi, le taux à 2 ans en Europe (swap, 3,57%; Allemagne, 2,95%) a atteint de nouveaux sommets. Le taux allemand à 10 ans a aussi testé le pic de décembre (2,57%). Idem pour les taux américains et le dollar (voir l’édition des Marchés de vendredi). Vendredi, les marchés plus circonspects à l’approche d’un week-end de trois jours aux États-Unis (en l’honneur du Presidents’ Day ce lundi) ont légèrement battu en retraite après la forte hausse des taux. Le dollar et les taux ont concédé leurs gains journaliers précédents. Nous pensons que ce n’est que le calme avant la tempête.
À quoi pouvons-nous nous attendre cette semaine? Demain, nous recevrons un nouveau bulletin de santé économique avec la publication de l’indice PMI de confiance des entreprises de l’UEM. L’indice général devrait poursuivre sa progression au-dessus du cap de 50 (50,6), la frontière entre croissance et contraction. Les indicateurs allemands de confiance des investisseurs ZEW (également ce mardi) et IFO (mercredi) devraient être porteurs du même message. Un contexte économique relativement favorable pourrait permettre aux entreprises de répercuter leurs coûts. En ce qui concerne l’inflation, les États-Unis annonceront vendredi les “PCE deflators” pour le mois de janvier. Le chiffre de base est l’indicateur de prédilection de la Fed. Avec une hausse mensuelle attendue de 0,5% (inflation générale) et 0,4% (inflation de base), la dynamique reste loin de l’objectif de 2,0%. Une hausse surprise réveillerait le débat sur l’opportunité pour la Fed de relever à nouveau les taux de 50 points de base. Le rythme des relèvements précédents et futurs sera également un point d’attention important dans le procès-verbal de la dernière réunion de la Fed, qui sera aussi publié mercredi.
Il trahira probablement moins d’unanimité qu’auparavant sur la trajectoire à suivre. Après la réunion, la conférence de presse quelque peu réservée du président Powell avait fait croire aux marchés que les colombes pourraient être en train de gagner du terrain.
Mais vu les données récentes et les déclarations des gouverneurs Bullard et Mester, qui restent clairement favorables à des pas de 50 pb, ce n’est peut-être pas une si bonne analyse. En un mot: les nouvelles de cette semaine sont susceptibles de renforcer les tendances de la semaine dernière. Des seuils techniques clés, tant au niveau des taux d’intérêt que du dollar, devraient rester sous pression.
Encore un point relatif aux marchés, jusqu’ici guère affectés par le changement la fonction de réaction, malgré la hausse des principaux taux d’intérêt: parlons des spreads de crédit des obligations d’État de l’UEM. De crainte que la hausse des taux de la BCE n’entraîne des primes de crédit ‘trop’ élevées, par exemple pour les obligations italiennes, la BCE avait créé un certain nombre de mécanismes de correction l’année dernière (dont le réinvestissement flexible des obligations PEPP à l’échéance et l’Instrument de protection de la transmission, afin de veiller à ce que des spreads trop importants ne perturbent pas la transmission monétaire). Jusqu’à présent, ces spreads internes à l’UEM sont restés un havre de paix. Cela s’explique en partie par le sentiment positif à l’égard du risque. De même, la croissance nominale, supérieure aux attentes et toujours assez élevée, contribue à atténuer les déficits et surtout le taux d’endettement. Mais on peut se demander jusqu’à quand ce bilan optimal perdurera, surtout si la hausse des taux finit par couper l’appétit des marchés pour le risque.