L'empereur d'Europe: avec tous les Chinois…
Après son plaidoyer en faveur d'une Renaissance européenne, le président français Emmanuel Macron lance un nouvel appel assez particulier: l'Europe doit renforcer sa collaboration avec la Chine. Pour certains, l'idée est presque sacrilège. Après la conquête des marchés européens par les exportateurs chinois, les critiques nourrissent en effet une méfiance à peine dissimulée à l'égard des investisseurs chinois qui déferlent en ce moment sur l'Europe. Manifestement, l'appel de Macron était aussi une réaction à l'annonce récente faite par le gouvernement italien, qui semble avoir bien l'intention d'accueillir les investisseurs chinois à bras ouverts. L'Europe a toujours fait preuve de prudence vis-à-vis de la Chine, en particulier dans le contexte du conflit commercial opposant les États-Unis et la Chine. D'où la question: comment l'Europe devrait-elle envisager sa relation à plus long terme avec la Chine?
Hier, le tapis rouge a en tout cas été déroulé pour le président chinois Xi Jinping. Sa visite cadre dans les négociations en cours au sujet d'un accord d'investissement entre l'Europe et la Chine. Que les choses soient claires: il n'est absolument pas encore question d'accord commercial. L'accent qui est résolument mis, dans la relation entre l'Europe et la Chine, sur les investissements s'apparente évidemment aussi à l'ambition que nourrit la Chine de renforcer les liens logistiques entre la Chine et l'Europe à travers la Belt and Road Initiative (BRI, en quelque sorte la nouvelle route de la soie). Du moins, tel est l'argument commercial que la Chine veut faire valoir en Europe. En réalité, les ambitions de la BRI vont bien plus loin et visent plutôt à étendre l'influence économique (et politique) de la Chine de l'Afrique à la Scandinavie, ou encore de Paris à Vladivostok.
Hier, l'UE a répondu unanimement à l'appel. Le président français était l'hôte de la rencontre, mais la chancelière Merkel et le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, étaient de la partie également. L'UE aimerait se positionner en tant qu'interlocuteur de la Chine, mais cette dernière préfère approcher les États membres séparément. Force est de reconnaître que de telles négociations bilatérales confèrent généralement à la Chine une position de négociation plus favorable. L'UE ne voit pas d'un bon œil les États membres d'Europe du Sud et de l'Est se plier comme ils le font aux exigences chinoises en échange d'avantages économiques, d'ailleurs généralement assez insignifiants. Le port grec du Pirée est souvent cité en exemple pour illustrer la politique d'investissement de la Chine: propriétaire du port, la Chine s'en sert comme d'une plaque tournante pour se créer son réseau et se ménager son accès au marché européen tout entier.
Un constat important dans ce débat est que les investissements chinois en Europe restent limités (volume des IDE entrants = 45 milliards d'euros en 2016). À l'inverse, les entreprises européennes investissent beaucoup plus en Chine (volume des IDE sortants = 177 milliards d'euros en 2016). Toutefois, la Chine est jugée plus importante en tant qu'investisseur international du fait que les investissements réalisés par la Chine à l'étranger (en flux) ont récemment dépassé les investissements étrangers totaux en Chine (voir illustration). L'Europe a dès lors tout intérêt à continuer à s'assurer un accès au marché chinois. Il est donc essentiel pour ce faire d'adopter une attitude constructive à l'égard des investissements chinois. De plus, un accord de collaboration étroit avec la Chine pourrait imprimer un nouvel élan à la croissance, tant en Chine qu'en Europe. Dans les moments où la croissance économique ralentit comme elle le fait actuellement, il s'agit là d'initiatives louables. Et le potentiel en termes de prospérité est encore plus grand lorsqu'une telle collaboration s'inscrit dans un (nouveau) cadre multilatéral.
Quoi qu'il en soit, il est clair que la relation entre l'Europe et la Chine reste empreinte de méfiance. Le chemin sera encore long d'ici à ce que les deux grandes puissances se fassent suffisamment confiance. Mais cette ambition n'est pas déraisonnable. Le modèle de leur collaboration ne sera ni européen ni chinois, mais une symbiose encore inconnue entre les deux. On n'aime que ce qu'on connaît, et c'est souvent un tort. Il s'agit donc d'un dossier dans lequel il faudra avancer progressivement et avec prudence.