L'économie américaine est-elle en passe de trouver une "nouvelle normale"?
Le marché de l'emploi est un élément crucial pour la croissance économique. C'est tout particulièrement le cas aux États-Unis, où la part de la consommation des ménages dans la croissance atteint jusqu'à 70%. Pour savoir comment se porte la plus grande puissance économique au monde, il convient donc au minimum de se pencher sur le rapport mensuel du marché de l'emploi américain (les "payrolls").
En 2018, le marché de l'emploi américain a connu une accélération vertigineuse. Chaque mois, les États-Unis ont créé en moyenne 223.000 nouveaux emplois, complétant ainsi le top 3 depuis la crise financière. 2019 a débuté sur les chapeaux de roue également, avec pas moins de 311.000 nouveaux emplois créés en janvier. En février, par contre, la création d'emploi ne consistait qu'en 20.000 unités. Il s'agit là de l'évolution la plus médiocre observée depuis septembre 2017, et c'est surtout beaucoup moins que prévu (180.000). Les emplois supprimés dans le secteur de la construction (-31.000) retiennent tout particulièrement notre attention. Peut-on parler d'un déraillement? Ce serait d'après nous exagéré. Les autres détails du rapport sont en effet plutôt positifs. Le taux de chômage a contre toute attente encore diminué, retombant à 3,8% et s'établissant ainsi à son deuxième niveau le plus bas en près de 5 décennies. Le taux de participation (63,2%) s'est quant à lui hissé à son plus haut niveau depuis 2013. Joe Sixpack, autrement dit l'Américain moyen, voit son salaire horaire moyen augmenter dans des proportions substantielles (0,4% en glissement mensuel et 3,4% en glissement annuel, un nouveau sommet cyclique). Jusqu'ici, cette évolution ne s'assortit pas d'une envolée de l'inflation, ce qui profite au pouvoir d'achat des ménages américains.
Le rapport mitigé a été accueilli par une réaction mitigée du marché. Le dollar, les taux d'intérêt américains et les bourses ont accusé un recul synchrone, mais le mouvement est resté à la fois ordonné et limité dans le temps. Le différentiel EUR/USD a fini sa course dans la moitié inférieure du canal de 1,12 et le taux américain à 2 ans a perdu un peu plus d'un point de base. Mais une hirondelle ne fait pas le printemps. À juste titre, le marché ne tire pas de grandes conclusions d'un seul chiffre mensuel. Le rapport de février suggère néanmoins un retour à la "nouvelle normale". Les États-Unis vivent en ce moment leur deuxième plus longue période de croissance de leur histoire. Les incitants fiscaux lancés par le président Trump en 2018 étaient la cerise sur le gâteau, mais leurs effets s'estompent peu à peu. La Fed a récemment jugé le moment opportun de marquer une pause dans ce processus, mais elle a néanmoins durci considérablement sa politique monétaire au cours des dernières années. L'économie américaine devra donc désormais surtout voler de ses propres ailes. C'est loin d'être une évidence dans le contexte d'une économie mature, et les investisseurs en sont bien conscients. Les statistiques économiques concrètes ("hard data") vont donc probablement faire l'objet d'un regain d'intérêt dans les prochains mois. Et s'il s'avère que l'hirondelle en question fait partie d'une volée, la pause de la Fed prendra peut-être des allures permanentes. Dans ce cas, les taux d'intérêt et le dollar pourraient se retrouver sous pression. Pour le différentiel EUR/USD, la situation est toutefois plus ambiguë. Jeudi dernier, la BCE a brossé un portrait plutôt pessimiste de la situation européenne. Il serait risqué d'affirmer que le différentiel EUR/USD tire profit d'un dollar faible à partir du moment où celui-ci découle d'un affaiblissement de l'économie américaine/mondiale. Le prochain indicateur de référence pour l'économie américaine nous parviendra cet après-midi, lors de la publication des ventes au détail.