Un yuan stable? Pas aussi innocent qu'il n'y paraît!
Des rumeurs font état d'une avancée dans les négociations commerciales entre les États-Unis et la Chine. Un des sujets abordés a retenu notre attention: la monnaie. Les États-Unis auraient demandé à la Chine de n'intervenir que dans un seul sens sur le marché des changes. Les Chinois devraient ainsi empêcher que le yuan s'affaiblisse. Pas besoin d'intervenir en cas d'appréciation. Cette demande des Américains est pour le moins surprenante. Voyons quelles pourraient en être les conséquences.
Cela fait déjà longtemps que les États-Unis et d'autres pays demandent à la Chine de laisser le marché déterminer la valeur du yuan. Ces dernières années, la Chine a fait des efforts en ce sens. Et depuis quelque temps, le yuan suit plus ou moins les tendances générales des changes (l'évolution du dollar US dans le cas qui nous occupe). Tout le monde peut y trouver son avantage. En Chine, cette approche s'est inscrite dans le cadre de la volonté de se concentrer davantage sur la demande intérieure et de rendre le pays moins dépendant aux exportations. Il s'agit également d'une condition pour que le yuan (et donc la Chine) joue un rôle plus important dans le système financier international (paiements, monnaie de réserve). Le "reste du monde" doit quant à lui moins s'inquiéter du danger que pose un yuan maintenu artificiellement bas. On pourrait donc penser que tout le monde y trouve son compte. L'administration Trump semble pourtant avoir un autre avis...
Tout d'abord, les États-Unis veulent éviter que la Chine affaiblisse sa monnaie en représailles des droits de douane imposés sur les marchandises chinoises. Une telle décision aurait pour effet de saper l'avantage compétitif des entreprises américaines. La limitation de la baisse du yuan s'inscrit également dans une stratégie à long terme. Pour les Américains, les "résultats" de ces interventions sélectives pourraient être analysés dans le cadre d'une sorte d'évaluation permanente de tout éventuel accord commercial. Dans le but de déterminer si des droits de douane doivent être appliqués sur les importations chinoises et si oui, lesquels. Une manière de maintenir la pression. L'approche américaine va évidemment à l'encontre de l'argument (aussi défendu par les Américains) selon lequel tout le monde doit respecter les règles d'un commerce libre et non manipulé. Ce plaidoyer en faveur d'un marché libre est donc désormais passé au second plan par rapport au principe du "America First". L'issue de ce débat pourrait, à terme, avoir de lourdes conséquences.
Ainsi, une monnaie stable est difficilement conciliable avec des flux de capitaux libres. Ceux-ci peuvent en effet entraîner des mouvements dans les deux directions (du yuan, dans le cas qui nous occupe). La demande de stabilisation du yuan n'est donc pas du tout compatible avec celle d'une libéralisation du marché des capitaux chinois. Autre conséquence possible: si la Chine décide d'intervenir pour renforcer sa monnaie, cela signifie que la banque centrale chinoise achètera des yuans et vendra une partie de ses réserves de change, principalement du dollar. Avec, en principe, pour résultat une dépréciation du billet vert. Cela signifie par ailleurs que l'un des principaux détenteurs d'obligations d'État américaines réduira son portefeuille, précisément au moment où le Trésor américain doit émettre beaucoup de papier pour pouvoir financer le creusement du déficit public. Les Américains sont-ils en train de se tirer une balle dans le pied, avec le risque d'une hausse des taux? Une stabilisation relative du yuan vis-à-vis du dollar implique probablement que la monnaie chinoise (comme beaucoup d'autres monnaies émergentes) suivra en grande partie l'évolution du billet vert par rapport à l'euro. Le dollar est relativement fort à l'heure actuelle. S'il évolue à l'avenir en direction d'un niveau d'équilibre plus bas, il est très probable que la majeure partie de l'appréciation se répercute aussi sur l'euro! Pour le moment, il ne s'agit que d'une hypothèse basée sur des bruits de couloir. Nous plaçons toutefois ce sujet (la manipulation du yuan) en haut de notre liste des risques susceptibles d'avoir de lourdes conséquences sur l'économie et les marchés.