Contrer l’inflation avec un relèvement rapide des taux ?
La forte poussée inflationniste a bouleversé la réflexion sur la réduction progressive des incitants monétaires. Jusqu’à l’été, tant les marchés que les banquiers centraux tablaient sur un scénario où il allait d'abord être mis fin aux achats d’obligations nets. Allait ensuite venir une pause (relativement longue). Après celle-ci, les taux d’intérêt allaient pouvoir être progressivement relevés en fonction de la réalisation de l’objectif d’inflation (sur le long terme). Le président de la Fed, Jerome Powell, a ainsi répété après la réunion de septembre qu’il n'y avait aucun lien direct entre l’arrêt des achats d’obligations nets d’une part et le début des relèvements des taux d'autre part. Dans la "forward guidance" de la BCE, aucun relèvement de taux n’est d'alleurs à l’horizon. D'après les prévisions de la banque, l’objectif d’inflation ne devrait pas être atteint de manière durable avant la fin de son horizon de politique (jusqu’en 2023).
Voilà pour la théorie. La principale question n’est aujourd'hui plus de savoir si l’objectif d’inflation sera atteint. Pour cette année, des pics d’inflation de l’ordre de 4 % et plus sont quasiment devenus une certitude. Quant au caractère temporaire de la poussée inflationniste, les doutes sont également de plus en plus nombreux. Les prévisions d’inflation à plus long terme (10 ans) sont (parfois largement) supérieures à 2%, tant aux États-Unis que dans l’UEM et au Royaume-Uni. Outre-Manche, le swap d’inflation à 10 ans a franchi la barre des 4 % ! En tant que banque centrale, il devient donc de plus en plus difficile de s'accrocher au scénario d'une poussée inflationniste temporaire et de prévisions d’inflation confortablement ancrées autour de l’objectif. Question suivante : comment réagir ? Le président de la BoE, Andrew Bailey, a récemment indiqué à plusieurs reprises que la banque centrale pourrait devoir contrer cette accélération de l’inflation par un relèvement relativement rapide des taux. Celui pourrait même être effectué avant la fin des achats d’obligations qui, dans le scénario actuel, devraient cesser à la fin de cette année. Apparemment, le bilan n’est pas l’instrument approprié pour réagir correctement à une poussée inattendue de l'inflation. Après une nouvelle mise en garde de Bailey ce week-end, les taux à court terme britanniques sont repartis à la hausse (2 ans : 15 pb). Le marché considère un premier rehaussement de taux de 15 points de base en novembre (à 0,25 %) comme quasiment acquis, avec la possibilité d'un nouveau resserrement à 0,50 % avant la fin de l’année. Le président de la BoE a déjà dans le passé lâché quelques ballons sans toujours être soutenu par la majorité de son comité. Aujourd'hui, il serait cependant étonnant qu'il alimente des attentes déjà élevées sans bénéficier d'un soutien implicite de ses collègues. La forte hausse des taux à court terme est allée de pair avec une baisse des taux à très long terme. De nombreux facteurs peuvent expliquer cela. L’un d'entre eux est que le marché redoute que cette intervention visant à contrer l’inflation n’hypothéque la croissance à plus long terme. Cela pourrait également expliquer en partie pourquoi la livre n’a pas profité de la remontée des taux.
Le repositionnement ne se limite pas au Royaume-Uni. Ainsi, le marché estime désormais que la hausse de l’inflation plus longue que prévu obligera la Fed à relever ses taux à deux reprises l’année prochaine. Plus étonnant encore, les futures Euribor tiennent déjà compte d’un ou deux resserrements de 10 points de base du taux de dépôt de la BCE l’année prochaine. Cela contraste évidemment fortement avec le discours de la BCE qui considère toujours l’inflation comme temporaire et le fait que même le débat sur la réduction progressive du PEPP n'avance quasiment pas pour le moment. Pourtant, le marché estime qu’un ajustement des achats d’actifs ne constitue pas une réponse appropriée face à la hausse persistante de l’inflation (des prévisions d’inflation). Il est encore difficile de savoir si c'est directement lié, mais "la hausse pratiquement impossible des taux à court terme" évoquée dans le scénario de la BCE va de pair avec de timides signes de stabilisation de l'euro. Nous n’en tirons encore aucune conclusion. La question se pose toutefois de savoir jusque quand la BCE pourra tenir la divergence entre son discours autour du caractère temporaire de l’inflation et les prévisions du marché concernant l'inflation et une éventuelle réponse sous la forme de taux plus élevés. L’un des deux devra revenir sur sa position.