L'écart monétaire pèse sur le cours EUR/USD
Le meilleur pour la fin. L'équivalent européen du symposium annuel de Jackson Hole s'est clôturé hier par un débat virtuel entre les présidents des quatre grandes banques centrales de la planète : Powell de la Fed, Bailey de la BoE, Lagarde de la BCE et Kuroda de la BoJ. Leur attitude respective vis-à-vis de l'inflation et la fonction de réaction de leur institution reflètent parfaitement les mouvements observés sur le marché des changes.
Le ton et l'attitude du président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, ne laissent pas de place au doute : la banque centrale américaine a décidé d'entamer son revirement monétaire sans regarder en arrière. L'économie US est en effet revenue à ses niveaux d'avant la pandémie et a même pratiquement renoué avec son ancien rythme de croissance (tendanciel). Les risques d'inflation sont quant à eux à la hausse à cause du choc persistant de l'offre. La Banque d'Angleterre (BoE) et son gouverneur Andrew Bayley se trouvent plus ou moins sur la même longueur d'onde que la Fed. Malgré une apparente nonchalance, Bailey n'a pas mâché ses mots et est allé droit au but. La politique monétaire est impuissante face aux chocs de l'offre bien spécifiques auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui. Elle ne pourra pas créer plus de puces électroniques, ni faire souffler le vent en Mer du Nord ou fournir des chauffeurs expérimentés. Elle peut en revanche empêcher que les chocs de l'offre ne dégénèrent en une spirale inflationniste vicieuse par le biais des fameux effets secondaires. Bailey ne veut pas précipiter les choses, mais il n'exclut pas une hausse de taux cette année, tout en maintenant les achats d'obligations. La présidente de la BCE, Christine Lagarde, n'a pour sa part pas pu dissimuler sa nervosité à chaque fois qu'elle prenait la parole. Si elle rejoint l'analyse de ses collègues Powell et Bailey, elle en tire toutefois d'autres conclusions. La pression inflationniste ne se traduit pas encore par une pression sur les salaires, et les prévisions d'inflation sont toujours inférieures à l'objectif de 2 %. (Un rapide regard sur les écrans permet de voir que les prévisions d'inflation sont 10 points de base en dessous de 2 %, mais n'avaient tout de même plus été aussi élevées depuis des années.) Le gouverneur de la banque centrale japonaise (BoJ) Haruhiko Kuroda semblait quant à lui surtout souffrir de décalage horaire virtuel. Très hésitant dans ses réponses, il n' a pas vraiment fait montre d'un grand enthousiasme. Nous retiendrons que l'inflation ne constitue pas un problème et n'en deviendra pas un.
Des paroles à la réalité sur les marchés : le dollar américain bénéficie d'un bonus de la Fed depuis le mois de juin. De vagues promesses se sont transformées en intentions concrètes la semaine passée. L'avertissement adressé aux marchés des taux et des actions a alimenté encore un peu plus le rallye du billet vert. Plus la politique monétaire dans les autres pays/zones économiques s'écarte de celle de la Fed, plus la sanction sur le marché des changes se fait sentir. Le cours USD/JPY a déjà complètement tourné la page de la baisse du dollar de 2020 et se rapproche désormais des sommets de 112,40/23 de 2019/2020. La paire EUR/USD est retombée à son niveau le plus bas depuis novembre de l'année passée hier. Le niveau de 1,1603 équivaut à une dernière étape avant 1,1495/93 (sommet mars 2020/retracement 50 % hausse EUR/USD 2020). Tant que Lagarde et ses collègues pratiqueront la politique de l'autruche, l'affaiblissement du cours EUR/USD sera le chemin de la moindre résistance. La livre britannique (GBP/USD) a longtemps évolué comme le dollar. La seule différence résidant dans la nature du futur cycle monétaire : resserrement classique aux États-Unis et calibrage prudent au Royaume-Uni. Pour la première fois de l'année, la paire GBP/USD cote en dessous de 1,35. Le premier véritable niveau de support se situe autour de 1,3158 (retracement 38 % sur le rallye de 2020). Le billet vert pondéré des échanges commerciaux (DXY) est proche d'une solide zone de résistance entre 94,47 et 94,74 (sommet septembre 2020 et retracement 38 % sur la baisse du dollar de 2020). Cela pourrait un peu freiner le dollar, sans aucune incidence sur l'analyse de fond.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC