Où est passé l’espoir de reflation ?
Cela couve depuis quelque temps. Les statistiques ne sont pas mauvaises en soi, mais le marché doute. Plusieurs composants du "reflation trade" ont ainsi été mis de côté par prudence.Hier, ces doutes se sont transformés en véritable mouvement de panique. Les taux d’intérêt américains ont perdu jusqu'à 10 pb, à 1,20 % pour le taux à 10 ans. À titre de comparaison, un taux de 1,77 % était encore attendu fin mars ! Les "dégâts collatéraux" étaient, jusqu’il y a peu, restés modestes sur les autres marchés. La faiblesse des taux d’intérêt poussant les investisseurs à ne pas réduire trop fortement leurs positions à risque. Le principe du TINA ("There Is No Alternative") continuait de jouer. Jusqu'à hier. Les actions européennes ont en effet plongé de 2 à 3 %. Aux États-Unis, les bourses ont clôturé la séance avec des pertes de 1 % (Nasdaq) à 2 % (Dow, cycliques). Autre signe : les matières premières cycliques ont également jeté l’éponge. Le cuivre a plus ou moins résisté (-3 %). Le pétrole a quant à lui dégringolé, de 73,00 à 68 dollars le baril. Même constat sur le marché des changes. Le yen s’est imposé comme une valeur refuge. Les devises plus petites et moins liquides, surtout celles liées aux matières premières (NOK, CAD, AUD...), ont subi de lourdes pertes. Le dollar (et l’or) ont pour leur part moins profité de leur statut de valeur refuge.
Voilà pour les faits. La raison ? Hier, le calendrier économique était tout simplement vide. Pas de données ni de commentaires des banquiers centraux. Le marché a donc suivi sa dynamique interne. Les professionnels de l'actualité financière se sont surtout concentrés sur la forte progression du variant delta, qui risque d’hypothéquer la reprise dans certaines régions (Asie, Australie...). Nous avons toutefois le sentiment que d'autres facteurs sont aussi à l'œuvre. À cet égard, l’aplatissement continu des courbes de taux a de quoi frapper. À ce stade du cycle économique, on ne s’attend pas à une courbe des taux aussi plate, et certainement pas à la forte baisse des taux à long terme. Les taux à long terme se replient, alors que les banques centrales n'ont pas encore commencé leur normalisation. Celle-ci devrait en principe commencer par une réduction des achats d’obligations. Toutes choses étant égales par ailleurs, cela sous-tend des taux à long terme plus élevés. La journée d'hier a été quelque peu atypique, avec surtout un recul des prévisions d’inflation. Jusqu’à présent, la baisse des taux d’intérêt s'expliquait principalement par une baisse des taux réels. Différentes interprétations sont possibles.
La première est que le marché pense que la dynamique de croissance a atteint son pic et que les prévisions sont peut-être trop optimistes. C’est possible, à cause du variant delta, mais aussi pour d’autres raisons. Le marché craint-il que les effets des incitants budgétaires ne dureront pas aussi longtemps qu’espéré ? Ou s’inquiète-t-il de l’impact de la poussée inflationniste sur la croissance? Au début de cette année, l’inflation était considérée comme le signe d’une demande plus forte. Aujourd’hui, on se demande de plus en plus si la hausse des prix des matières premières, mais aussi la hausse des prix liée aux limitations de l’offre, ne risque justement pas de compliquer la reprise.
Le marché n’a, par définition, pas toujours raison. Ceux qui tablent sur un scénario de croissance optimiste espèrent secrètement que le net aplatissement de la courbe des taux et/ou le recul des taux réels ne dureront plus trop longtemps. L’écart entre les attentes et l’évaluation collective du marché ne doit pas être trop important. Une hirondelle ne fait pas le printemps, mais le calme est un peu revenu ce matin. Nous attendons surtout une stabilisation des taux réels.
La position des banquiers centraux sera aussi scrutée avec attention. Comment évaluent-ils la situation et, plus important encore, que pense le marché de leur analyse ? La Fed et la BCE doivent-elles laisser entendre que la normalisation pourrait (encore) être retardée ? La politique de soutien sera certes maintenue, mais le marché pourrait également y voir la confirmation d'un sentiment de méfiance vis-à-vis de la croissance. Ou faudra-t-il tout de même tenter de contenir cette inflation (potentiellement nocive), avec relativement moins de stimulus ? Du point de vue du marché, les deux options comportent des risques. Au vu des données, il n'y a jusqu’à présent aucune raison de paniquer, mais de nouveaux sursauts de volatilité demeurent très probables en attendant que le marché ne soit à nouveau convaincu du caractère équilibré de la croissance.