Le marché de l’emploi ne révèle pas encore tous ses secrets
Vingt-quatre heures et un rapport sur l’emploi plus tard, les taux (réels) américains et le dollar américain repartent à la baisse. Le cours EUR/USD remonte vers les 1,2150. Le taux américain (nominal) à 10 ans est retombé sous la barre des 1,60%. Cependant, nous présumons que le scénario que nous avions exposé vendredi sera reporté plutôt qu’abandonné. En effet, la réunion de politique de la Fed du 16 juin devrait toujours marquer le coup d’envoi du débat sur le démantèlement des achats d’obligations. D’ici là, la réunion planifiée de la BCE, les adjudications d’obligations d’État américaines (du mardi au jeudi) et les chiffres de l’inflation américaine (le jeudi) pourraient encore attiser la volatilité.
Pour le mois de mai, le Bureau des statistiques de l’emploi américain a estimé le nombre de nouveaux emplois à 559 000. C’est un résultat inférieur aux attentes du marché et plutôt décevant, après les chiffres (et l’évolution du marché) de jeudi dernier. Au niveau des détails, l’on peut voir que le secteur des loisirs est à nouveau le moteur de la hausse des emplois, même s’il y a un léger essoufflement par rapport à avril (292k contre 328k). Du côté du secteur de la construction, malgré la forte demande de maisons, les pénuries de matières premières (notamment de bois) et les problèmes d’approvisionnement entraînent une baisse du nombre d’emplois pour le deuxième mois consécutif. Dans l’industrie manufacturière – qui est confrontée à des casse-têtes similaires –, le bilan est cette fois légèrement positif (+23k).
Le taux de chômage américain est retombé de 6,1% à 5,8%, mais c’est surtout dû à un taux de participation inférieur (61,6%). En effet, le nombre d’Américains actifs ou demandeurs d’emploi, exprimé en proportion de la population apte au travail, reste largement inférieur à la moyenne de ± 63% observée pendant la période qui précédait la crise du Covid (2014-2019). Sans ce recul du taux de participation, le taux de chômage s’élèverait toujours à environ 8,5%. En chiffres, cela représente encore 7,6 millions d’Américains en moins au travail par rapport à février 2020. La question clé que se posent les chercheurs (et les gouverneurs de la Fed) est: dans quelle mesure cette tendance est-elle structurelle? L’évolution indispensable vers le plein emploi, liée au début du processus de normalisation de la Fed, aura-t-elle lieu? Un “effet Covid” persistant signalerait que le marché de l’emploi est plus serré que les chiffres ne le laissent transparaître. Augmentation des allocations de chômage, fermetures des écoles, pensions anticipées, craintes liées au Covid: ce ne sont que quelques-uns des facteurs qui font qu’une grande partie des Américains restent sur le banc de touche. En ce qui concerne ce premier facteur, le débat fait rage au Capitole: plusieurs Républicains défendent des scénarios d’extinction plus rapides des versements pour favoriser la reprise économique et la réouverture de la société. En juin, environ la moitié des états pourraient mettre fin anticipativement (en principe jusqu’en septembre) à certaines allocations, voire les remplaceraient par des primes d’encouragement à la reprise du travail. L’effet pourrait d’ores et déjà se manifester (espérons-le) dans des payrolls solides pour le mois de juin. En tout cas, les postes vacants ne manquent pas. Le nombre d’emplois à pourvoir (selon l’enquête JOLTS) atteint des niveaux record (> 8 millions) depuis le début des mesures fin 2000.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC