La force de la répétition
Mercredi passé, le procès-verbal de la Fed avait dévoilé au grand jour de premiers signes de divergences de vue au sein du directoire. Hier, plusieurs gouverneurs ont tenté de resserrer les rangs. Avec succès. Effet voulu ou non, le dollar US doit en payer le prix. Hier, le cours EUR/USD est repassé au-dessus de la barre de 1,22. Et la hausse se poursuit ce matin. Le dernier obstacle de 1,2243 a donc provisoirement disparu, ce que la paire de devises n'était pas parvenue à faire la semaine passée. Le sommet de janvier de 1,2349 est désormais en vue.
Qu'a-t-on pu entendre hier ? C'est la gouverneure Lael Brainard qui a donné le coup d'envoi. Cette dernière s'attend en effet à une accélération de l'inflation au-delà de l'objectif symétrique de 2 % au cours des prochains mois. Mais elle a ajouté que ce sont surtout les prévisions d'inflation qui comptent et que celles-ci restent bien ancrées entre grosso modo 2,4 % et 2,6 %. Le risque de voir la hausse des prix dépasser durablement les limites autorisées demeure donc limité. Raphael Bostic, de la Fed d'Atlanta, a quant à lui effectué une simple analyse de l'offre et de la demande : la demande explose, mais l'offre ne parvient pas à suivre le même rythme. Cette situation entraîne donc un rebond de l'inflation, mais celui-ci sera temporaire et pas suffisamment élevé pour justifier une réaction de la banque centrale. James Bullard, le président de la Fed de St. Louis, a abondé dans le même sens, mais de manière un peu plus nuancée. Ce dernier table sur une inflation supérieure à 2 % au moins jusqu'en 2022. Cela se traduira donc en partie par une hausse des prévisions de prix. Mais il est toutefois encore trop tôt pour discuter déjà aujourd'hui d'un retrait progressif de la politique monétaire actuelle. Il semble qu'il faudrait encore attendre quelques mois. À la mi-avril, Bullard avait ainsi lié cette discussion à un taux de vaccination de 75 %. 40 % des Américains ont entre-temps été entièrement vaccinés. Et 50 % ont déjà au moins reçu une première dose.
En soi, l'impact de l'offensive oratoire d'hier demeure minime. Il s'agissait surtout de montrer que les membres de la Fed étaient sur la même longueur d'onde. Si le marché commençait à se poser des questions quant à l'engagement de la banque centrale depuis mercredi, celle-ci a donc mis les points sur les "i". Le message a peut-être même été renforcé par l'attitude plus ou moins similaire affichée par la Banque centrale européenne. Vendredi dernier, la présidence de la BCE, Christine Lagarde, a une nouvelle fois plaidé en faveur de conditions financières souples, tout en ajoutant que la banque surveillait de près la hausse des taux.
À force d'être répété, ce message a convaincu le marché et le débat sur l'inflation est un peu repassé au second plan. Les prévisions de prix se sont stabilisées hier et n'ont pas non plus bougé ce matin. Les taux réels américains ont entendu le discours de la Fed et ont perdu jusqu'à trois points de base ce lundi. Ce n'est évidemment jamais bon pour le dollar. Des taux (plus) élevés à cause d'une accélération de l'inflation (des prévisions d'inflation) ne constituent pas une bonne nouvelle pour la monnaie américaine, mais une baisse des taux due à la perspective d'un maintien d'une politique accommodante par la Fed n'est pas favorable non plus. Le niveau de support de 89,68 du dollar pondéré des échanges commerciaux (DXY 89,60) s'est fissuré. Pour le cours EUR/USD, nous misons, pour rappel, sur une rupture durable au-dessus de 1,2243.