Qu’arrive-t-il aux marchés des taux (américains)?
Évolutions plus que surprenantes sur les marchés la semaine dernière. Si nous avions connu les données statistiques qui seraient publiées, surtout aux États-Unis, nous aurions formulé des prévisions de taux et de cours de change quelque peu différentes de celles qui sont pourtant apparues sur les écrans vendredi soir: des taux américains considérablement plus faibles et un dollar qui menace de tomber sous ses premiers niveaux de support importants.
Passons brièvement en revue les données en question. Les chiffres de l’inflation américaine ont dépassé les attentes (2,6% en glissement annuel pour l’inflation générale et 1,6% en glissement annuel pour l’inflation de base). De même, les indicateurs de prix précédemment publiés manifestaient déjà une accélération de l’activité économique. Les indicateurs de confiance régionaux et généraux ont facilement répondu aux attentes et là encore, la pression croissante sur les prix se fait particulièrement sentir. En outre, les demandes d’allocations de chômage hebdomadaires – un indicateur certes volatil – ont fortement diminué. Au mois de mars, la mise en chantier de nouvelles habitations a atteint le niveau le plus élevé depuis l’été 2006. Et jeudi, les ventes au détail ont été la cerise sur le gâteau: elles ont augmenté de presque 10% en glissement mensuel. Il semble que les chèques du dernier plan de stimulation fiscale aient été rapidement convertis en dépenses.
Comment s’y prend-on pour estimer la réaction du marché? Au-delà des chiffres, la question est toujours de savoir ce qui a déjà été pris en compte. L’impact positif de deux facteurs, la reprise de la vie sociale et l’accroissement de la capacité de dépense par le plan de stimulation comme par l’épargne accumulée, était une question de temps. Il n’en reste pas moins que les statistiques de la semaine dernière étaient bien meilleures que prévu et que les prévisions de croissance des États-Unis pour cette année ont été systématiquement revues à la hausse.
Et pourtant… cette semaine de bonnes nouvelles s’est soldée par une baisse hebdomadaire de 10 points de base du taux américain à 10 ans. Plus frappant encore, cette baisse était pour ainsi dire entièrement due à la chute des taux réels. En outre, le dollar reste sur la défensive. Le cours EUR/USD a abondamment testé la zone de résistance de 1,1950/1,20. Ce matin, le niveau de 1,20 est toujours pris d’assaut. Il est possible que l’amélioration du sentiment à l’égard de l’Europe ait un impact, mais ce “phénomène” semble surtout émaner des États-Unis.
Jusqu’à nouvel ordre, nous continuons de penser qu’il s’agit d’une correction temporaire dans une tendance reflationniste persistante aux États-Unis. Mais le sentiment d’inconfort est là. Le rapport ne saute peut-être pas aux yeux, mais la semaine dernière, nous avons lu un entretien approfondi avec le secrétaire américain du Trésor Lawrence Summers. Il appartient “normalement” au camp Biden et par le passé, il était généralement favorable à des mesures d’incitation fiscale suffisamment généreuses. Dans une analyse très détaillée, il s’est à présent montré étonnamment critique à propos du caractère exagéré des mesures et du risque d’inefficacités importantes dues à l’injection massive de liquidités. Il doute aussi que d’éventuelles dépenses fiscales supplémentaires, par exemple dans l’infrastructure, mais aussi sur le plan social, amélioreront à terme la capacité de production des États-Unis au niveau structurel. Bien entendu, ce sont des considérations à long terme. À plus court terme, ce type d’analyses pose toutefois la question de savoir si le marché n’aurait pas atteint le point de saturation pour les incitants (surtout fiscaux) américains en masse. Pour l’instant, il ne s’agit là que d’une piste de réflexion faisant suite à une réaction “inexplicable” du marché. Affaire à suivre…