Kavcioglu passe le baptême du feu
Hier, le gouverneur fraîchement nommé de la banque centrale turque (CBRT) Sahap Kavcioglu a passé son baptême du feu. Avant sa nomination, il s’est montré un ardent partisan de l’Erdoganomics, une politique de croissance par-dessus tout fondée sur la faiblesse des taux et en rupture avec le raisonnement conventionnel qui soutient que cela pousse l’inflation à la hausse. À ce titre, le marché a suivi d’un oeil méfiant la première décision de politique monétaire prise sous la direction de Kavcioglu.
Au cours de sa brève carrière, son prédécesseur Agbal a relevé une dernière fois le taux directeur à 19% en mars. Hier, il n’a pas bougé. Peu de temps après sa nomination, Kavcioglu a démenti les rumeurs d’un abaissement immédiat du taux. Il n’est pas revenu sur sa parole – même si les chiffres bruts ne lui ont en fait pas laissé beaucoup de choix. Le mois dernier, l’inflation est passée de 15,61% en glissement annuel au rythme le plus rapide depuis juillet 2019 (16,19%) et la lire turque s’est affaiblie de quelque 13%, tant par rapport à l’euro que par rapport au dollar. Kavcioglu a toutefois apposé sa marque sur le communiqué de politique. Par exemple, il n’y est plus fait mention de l’objectif d’inflation de fin d’année, tandis que la politique d’Agbal visait 9,4%. C’était peut-être ambitieux, mais cela avait le mérite d’indiquer clairement aux investisseurs que la CBRT entendait sérieusement lutter contre l’inflation. À présent, la banque centrale déclare seulement qu’elle veut un taux directeur supérieur à l’inflation jusqu’à ce que l’objectif de 5% soit atteint. Ce qui laisse place à l’interprétation. Supérieur dans quelle mesure? Et est-il question d’inflation actuelle ou future (supposée plus faible)? Quoi qu’il en soit, une hausse du taux directeur est peu probable. La CBRT estime qu’un taux de 19% est suffisamment agressif et efface toute référence à un “resserrement monétaire accru si nécessaire” promis par Agbal de la déclaration.
Sous Agbal, la CBRT s’était rapprochée de l’orthodoxie monétaire. Aujourd’hui, elle fait un pas en arrière, du moins dans la rhétorique. Pour l’instant, le marché accorde le bénéfice du doute à Kavcioglu, comme en témoigne la stabilité relative du taux de change hier. La lire fluctue aux alentours des planchers atteints à la suite du limogeage d’Agbal (9,7 par rapport à l’euro, 8,1 par rapport au dollar); le nadir historique, tant par rapport à l’euro (10,12) que par rapport au dollar (8,51), n’est pas si loin. Mais la véritable épreuve pour la devise et la CBRT suivra quand le marché sera repris par le thème de la reflation. Si les capitaux en quête de rendement affluent vers les pays centraux, la banque centrale pourra-t-elle et voudra-t-elle contrer l’hémorragie?
Mais à vrai dire, cette épée de Damoclès pend au-dessus de beaucoup d’autres économies émergentes, y compris la Russie. Ajoutons à cela un autre épine dans le pied du rouble: la situation géopolitique… Hier, les États-Unis ont annoncé de nouvelles sanctions à l’encontre de la Russie en raison de la présomption d’implication du pays dans l’affaire du piratage du développeur de logiciels SolarWinds et de l’influence du scrutin américain. L’option choisie est celle du “dernier recours”: les institutions financières américaines n’ont pas le droit de souscrire des émissions d’obligations d’État russes. Dans un contexte de tensions militaires russes aux frontières ukrainiennes, Biden veut sans doute envoyer un signal clair. Ultérieurement, les États-Unis pourront isoler la Russie des marchés internationaux dominés par le dollar, comme ils le font déjà avec l’Iran. Ces derniers jours, le rouble s’est négocié dans une atmosphère très nerveuse. La devise présente une faible cotation à plus long terme (USD/RUB 75,62, mais surtout EUR/RUB 90,55). À court terme, il semble y avoir peu de perspectives d’amélioration.