Fin des interventions sur le franc suisse?
La banque centrale suisse (SNB) a publié hier son rapport annuel, qui revient en détail sur l'évolution de l'économie l'année précédente. Les observateurs étrangers sont surtout attentifs à la place qu'occupe le franc suisse dans la politique monétaire, en particulier les interventions sur le marché des changes. Ainsi, l'administration Trump avait estimé à la fin de l'année passée que le pays remplissait tous les critères pour être qualifié de manipulateur de devises. Est-ce justifié? Et dans quelle mesure ces interventions seront-elles encore effectuées en 2021?
Commençons par le commencement. L'économie suisse s'est contractée de 2,9 % l'année passée. Un ralentissement moins prononcé que dans de nombreuses autres économies, mais tout de même le recul le plus important depuis 1975. Cela n'a fait qu'accentuer le problème classique de la Suisse d'une inflation beaucoup trop basse. Après avoir été à peine positive en 2019 (0,4 %), celle-ci est retombée à -0,7 % sur une base annuelle l'année passée. La SNB a donc dû intervenir, mais c'est là que se situe le problème.
La réponse standard face à la crise est généralement un mix des éléments suivants: 1. ramener le taux directeur à son niveau le plus bas possible, 2. acheter des obligations dans le but de pousser les taux longs à la baisse et accroître la liquidité et 3. prendre des mesures spécifiques de soutien à l'octroi de crédit. Cette dernière option a aussi été effectivement utilisée par la SNB. Les deux premières ne sont en revanche pas envisageables. Le taux directeur se trouvait déjà à -0,75 % avant la pandémie. Un nouvel abaissement aurait probablement eu plus d'effets secondaires indésirables que d'avantages.La deuxième grande alternative, à savoir l'achat d'obligations (souveraines) n'est pas non plus possible étant donné la faiblesse de la dette publique et le manque de liquidité sur le marché obligataire. Les interventions sur le marché des changes sont donc la seule alternative qui reste. Elles permettent d'affaiblir le franc et d'attirer en masse les liquidités sur le marché (comme le QE). En 2020, la SNB a acheté des devises étrangères pour un montant record de 110 milliards de francs suisses, surtout au premier semestre (90 milliards de francs suisses). L'accusation de manipulation des devises en prend un coup face au constat que le franc suisse pondéré des échanges commerciaux s'est encore apprécié de 4,4 % malgré les interventions. Il a même grimpé de 8 % par rapport au dollar. La faiblesse de l'inflation en Suisse ne fait encore qu'accentuer l'appréciation réelle de la monnaie. La banque tiendra une nouvelle réunion de politique cette semaine. Malgré toutes les critiques venant de l'extérieur, la SNB répétera une nouvelle fois que les interventions massives sur le marché des changes demeurent, le cas échéant, son instrument favori.
La situation a cependant évolué le(s) mois passé(s). Au second semestre de 2020, le sentiment positif vis-à-vis du risque et la pression baissière sur le franc ont entraîné un abandon progressif des interventions. Plus encore, le franc suisse a reculé d'un cran le mois passé sans que la banque centrale n'ait fait quoi que ce soit. La hausse des taux nominaux/réels aux États-Unis et dans d'autres pays a été suffisante pour rendre la monnaie suisse relativement moins attrayante. La SNB ne peut espérer que cette tendance se poursuive. Celle-ci a en effet beaucoup plus d'effets que n'importe quelle intervention massive. Le franc pourrait encore davantage se déprécier à mesure que la reprise aux États-Unis et dans le reste du monde continue de faire grimper les taux réels et que les spéculations autour de la normalisation monétaire gagnent du terrain. Vous pouvez d'ores et déjà être sûr(e) que la SNB sera l'une des dernières banques centrales à renoncer à sa politique accommodante. Dans un scénario de reprise globale progressive, sans perturbation excessive du marché, il est possible que le franc se déprécie en direction de EUR/CHF 1,15 à la fin de cette année. Le franc mais aussi le yen, deux traditionnelles devises refuges, ont en tout cas récemment été moins sensibles aux sursauts de volatilité en raison de la hausse des taux.