La partie de poker entre les banques centrales et le marché se poursuit
Cette semaine, la Banco Central Do Brasil (mercredi), la banque centrale turque (jeudi), la Norges Bank (jeudi) et enfin mais non des moindres, la Fed (mercredi), la Bank of England (jeudi) et la Banque du Japon (vendredi) porteront un œil critique sur leurs politiques dans un contexte de taux à la hausse. Tous les joueurs n’ont pas les mêmes cartes en main. Par exemple, le marché s’attend notamment à ce que la hausse de l’inflation combinée à la faiblesse de la monnaie “n’oblige” d’ores et déjà les banques centrales brésilienne et turque à relever les taux.
D’autres banques centrales subissent moins de pression: avec une inflation proche de l’objectif ou en deçà, il n’est en principe pas urgent de revenir sur une politique accommodante. Toutefois, le marché estime de plus en plus que les incitants fiscaux et monétaires à l’échelle mondiale et la forte reprise qui s’annonce donnent droit à une prime, tant pour le risque inflationniste que sous forme de “participation” à cette reprise (taux réels). En tant qu’investisseur obligataire, pourquoi vous contenteriez-vous d’un taux réel négatif pour mettre vos fonds à disposition dans une économie qui connaîtra une croissance d’environ 4-5% cette année et l’année prochaine, voire plus? Mais les banques centrales de l’entendent pas de cette oreille. De leur point de vue, la faiblesse des taux réels est essentielle pour atteindre leurs objectifs, à savoir une inflation plus forte et le plein emploi (grâce à un coût de la dette abordable). Ces deux visions s’opposent depuis quelques mois.
Et dans cette partie de poker, les banques centrales ont une bonne main. Avec les taux directeurs et les achats d’obligations, elles peuvent exercer une pression “physique” sur le marché. Jusqu’à présent, la “forward guidance” a également été un instrument important: il leur suffisait de déclarer qu’elles maintiendraient les taux bas ou qu’elles continueraient à acheter des obligations pour que les taux restent effectivement bas. Leur sésame? La “crédibilité”. De fait, la forward guidance est (ou était?) une prophétie autoréalisatrice “bon marché”, tant que le contexte lui prêtait de la crédibilité. Or les premiers doutes commencent à se faire jour. Si les banques centrales perdent leur crédibilité et qu’elles veulent malgré tout endiguer les fluctuations sur les marchés, elles n’auront d’autre choix que de mettre de l’argent sur la table. Et c’est bien ce que la BCE a fait: elle va accélérer ses achats d’obligations pour maintenir bas les taux à long terme. Le débat n’est pas encore tranché, mais vendredi, l’évolution des taux a indiqué que malgré cet engagement, la lutte avec les marchés se poursuit…
Comment la Fed se positionne-t-elle dans ce “jeu de pouvoir” avec le marché? Jusqu’à présent, la hausse des taux était réputée refléter les perspectives économiques solides. À cet égard, nous assisterons cette semaine à un exemple important en matière de “forward guidance”. La Fed publiera les projections des gouverneurs individuels, les fameux “dots”. En décembre, les gouverneurs se prononçaient presque à l’unanimité en faveur d’un taux directeur inchangé au moins jusqu’en 2022, avec cinq gouverneurs envisageant une hausse des taux en 2023. D’autres gouverneurs sortiront-ils des rangs? Plus subtilement: dans quelle mesure les perspectives d’inflation et de croissance seront-elles relevées? Vu les incitants fiscaux supplémentaires, une telle révision à la hausse serait logique. Comme nous l’avons dit, la forward guidance dépend dans une large mesure de la crédibilité des banques centrales. Serait-il donc vraiment crédible d’annoncer, par exemple, un relèvement des achats d’obligations (actuellement à 120 milliards de dollars par mois), au moment où les banques présentent justement des perspectives nettement meilleures? D’un autre côté, les marchés risquent bien entendu de considérer le silence ou la passivité comme un “nihil obstat” en réponse à leur réclamation de primes (de risque). Bref, ne rien faire/dire n’est probablement pas une option. En revanche, une intervention court le risque de n’être pas crédible. À tout prendre, Powell serait peut-être bien inspiré de prévoir un rendez-vous avec son coach en communication avant la conférence de presse de mercredi…