Les payrolls comme bouquet final
Vendredi dernier, le rapport américain sur le marché de l’emploi a clôturé en beauté une semaine riche en données économiques. De prime abord, il est difficile de tirer une conclusion claire de cette avalanche de chiffres, notamment en raison des conditions hivernales rigoureuses du mois de février qui ont faussé certains indicateurs, comme l’indice ISM de confiance des entreprises dans le secteur des services. En revanche, les payrolls ont été moins ambigus: ils étaient solides, sans aucun doute. Cependant, le chemin vers le rétablissement du marché de l’emploi est encore long.
379 000: c’est le nombre d’emplois américains qui se sont ajoutés au mois de février, soit bien plus que les 200 000 anticipés par le marché, surtout par rapport à un mois de janvier fortement revu à la hausse (d’à peine 49 000 à 166 000!). Ce n’est pas un hasard si cette hausse est presque entièrement due au secteur de l’horeca et des loisirs (avec 355 000). Aux États-Unis, la campagne de vaccination bat son plein, ce qui permet d’assouplir les restrictions dues au coronavirus. En revanche, le secteur de la construction (-61 000) a tiré l’emploi général vers le bas, ce qui reflète sans doute l’impact ponctuel de la vague de froid qui a frappé de grandes parties du pays. Le taux de chômage est retombé à 6,2%. S’il ne retrouve pas encore le plancher pré-pandémie auxquels nous étions habitués depuis des décennies (3,5%), il s’agit néanmoins d’un beau rétablissement par rapport au pic de près de 15% d’avril 2020. La carrosserie brille donc… mais voyons ce qui se passe sous le capot. Tout d’abord, il est frappant de constater que le taux de participation se stabilise à un niveau bien inférieur à celui d’avant la pandémie (61,4%). Ce n’est jamais une bonne chose: une économie saine et un marché de l’emploi sain attirent les gens. Compte tenu des personnes qui ont quitté le marché par rapport à la période pré-pandémie, le taux de chômage corrigé avoisine les 9%. Avec 3,5 millions de chômeurs permanents, nous en sommes donc encore et toujours à un taux de chômage historiquement élevé. Temporaires ou permanents, les chômeurs restent de plus en plus longtemps sans emploi. En outre, plus de 40% d’entre eux ne travaillent pas depuis au moins six mois, contre environ 20% en 2019. Ces deux évolutions majeures risquent de causer des dommages permanents au marché de l’emploi – par exemple par la perte définitive de compétences – si ce cercle vicieux se poursuit. Les décideurs politiques américains en sont conscients. La Fed ne laisse pas de souligner le caractère durable de la politique monétaire accommodante. De son côté, la Chambre des États-Unis a approuvé la généreuse enveloppe fiscale de 1 900 milliards de dollars de Biden à la fin du mois dernier et le week-end dernier, le Sénat en a approuvé sa propre version. Dans les jours à venir, les deux parties lisseront les (légères) différences qui subsistent entre elles dans une proposition de compromis.
Quant à la réaction du marché, elle a été plutôt confuse. Pour certains, le risque de surchauffe se précise dangereusement, une perspective étayée par des statistiques encourageantes qui peuvent se doubler de nouvelles positives, comme celles d’hier du Sénat américain. Vendredi, les velléités haussières des taux se sont certes rapidement estompées, mais un nouveau redressement a eu lieu ce matin (jusqu’à 4 points de base). La perspective d’une vigoureuse reprise économique aux États-Unis est de plus en plus favorable au dollar. Ou comment la dynamique de marché autour du thème de la reflation peut évoluer en quelques semaines… Vendredi, le cours EUR/USD clôturait la séance autour de 1,19. Aujourd’hui, la paire chute même en deçà de ce niveau et présente une situation technique négative à court terme.