Le chien aboie, mais ne mord pas encore
Le vent de reflation qui soufflait aux États-Unis et au Royaume-Uni a enfin atteint les marchés des taux européens au début de cette année. C'est surtout au mois de février que ces derniers ont passé plusieurs vitesses supérieures. En Allemagne, par exemple, le taux à dix ans a bondi de -0,52% début février à (brièvement) -0,20%. Au même moment, le taux des swaps européens (10 ans) a atteint son niveau le plus élevé depuis mars de l'année dernière. “Trop c'est trop”, a estimé la présidente de la BCE, Christine Lagarde. Au début de la semaine dernière, la Française s'est lancée dans une croisade contre la hausse (trop rapide) des taux à long terme.
D'autres poids lourds ont suivi le lendemain, dont l'économiste en chef de la BCE, Philip Lane, et la membre allemande du directoire de la banque, Isabel Schnabel. Le cœur du message était le même: d'accord pour des taux plus élevés, mais ils ne doivent pas miner la reprise économique. Si tel devait être le cas, la banque centrale pourrait alors devoir intervenir. Hier, François Villeroy, un des membres du Conseil des gouverneurs de la BCE, s'est montré inhabituellement ferme. La BCE devra agir et agira contre un durcissement indésirable des conditions financières. Le vice-président Luis De Guindos a à son tour clairement indiqué ce matin qu'il y avait suffisamment de marge et de flexibilité pour réagir si nécessaire. Les cadors de la BCE s'accordent à dire que le programme phare PEPP constitue l'instrument indiqué à cet effet. Nous avons rapidement eu l'occasion de confronter ces mots aux actes. Hier, la BCE a publié des données sur ses achats de la semaine dernière.
La banque centrale a démarré l'année 2021 en mode mineur, avec des achats hebdomadaires moyens de 10 milliards d'euros en janvier, le rythme plus lent depuis la création du PEPP. En février, la BCE a mis les bouchées doubles. Durant les deuxième et troisième semaines, elle a acquis pour environ 17 milliards d'euros d'obligations par semaine. Mais la semaine dernière, lorsque les marchés obligataires étaient pendant un moment en chute libre, le rythme s'est à nouveau affaibli, pour atteindre 12 milliards. On pourrait tout de même parler d'une occasion manquée: le chien aboie, mais ne mord pas. Quelques remarques s'imposent toutefois par rapport à ces chiffres hebdomadaires. Ainsi, aucune information n'est encore disponible en ce qui concerne les achats réalisés jeudi et vendredi derniers, les deux séances les plus mouvementées. En outre, ce n'est que plus tard dans la journée que nous connaîtrons précisément le montant provenant des obligations arrivées à échéance que la BCE a réinvesti la semaine dernière. Outre le PEPP, la banque centrale détient en effet un autre portefeuille obligataire gigantesque: celui relevant du programme d'achat d'actifs APP. Hier, la BCE a déjà annoncé que la quantité d'obligations arrivant à échéance la semaine dernière était supérieure à la moyenne. En d'autres termes, elle a réinvesti plus que d'habitude.
Les marchés des taux européens ne semblaient pas vraiment inquiets. Bien au contraire. Hier, les taux allemands à long terme se sont même repliés et ce, de manière assez vigoureuse. Le taux à 10 ans (-7,5 pb) a touché un support près de -0,34%. Le taux des swaps européens à 10 ans est à nouveau retombé en négatif. Pour l'instant, peu de doutes planent sur le fait que la BCE joindra l'acte à la parole si nécessaire. Mais il y a, en principe, encore de la marge. Les achats nets dans le cadre du PEPP se poursuivront normalement jusque mars 2022. Mais au rythme que l'on a connu le mois passé et avec les moyens encore disponibles (environ 980 milliards d'euros), il faudra attendre l'été prochain pour que le programme de crise soit entièrement utilisé. Cela suppose toutefois une hausse des taux ordonnée et contrôlée sur fond de forte reprise de l'économie (et de l'inflation?). Ce n'a rien d'évident.