Une réputation se perd beaucoup plus vite qu'elle ne s'acquiert
La force d'une banque centrale réside dans sa crédibilité. Il faut du temps pour se forger une réputation très solide, mais une fois acquise, les marchés écoutent. Des anciens de la Banque centrale européenne comme Trichet et Draghi l'avaient très bien compris. Ils n'élevaient la voix que si c'était vraiment nécessaire (“IMPECCABLY!") et ne faisaient valoir leur position de force (“and believe me, it will be enough”) que dans les cas d'extrême urgence.
L'actuelle patronne de la BCE, Christine Lagarde, a pris ses fonctions dans un contexte favorable, mais elle a rapidement été confrontée à une grave pandémie. De grande promotrice de l'écologisation, la numérisation et la modernisation de la banque centrale européenne en début de mandat, elle a rapidement dû enfiler ses habits de pompier pour lutter contre l'incendie. Le mémo interne vantant les mérites de la crédibilité a été perdu en cours de route.
Hier, Lagarde a commis un nouvel impair. Lors de son audition devant le Parlement européen, elle a mis l'accent sur la hausse rapide des taux à long terme européens. Une manière de laisser entendre que la banque est prête à plafonner, si nécessaire, les rendements absolus ou les différentiels de taux relatifs (entre les pays de l'UEM). Évoquer de telles actions disproportionnées au moment où les taux à long terme ont grimpé de 30 points de base constituent un jeu dangereux. Nous vous avons déjà exposé notre vision des taux hier. En ce qui concerne le contrôle de la courbe des taux, Lagarde est peut-être allée trop loin. L'Europe doit composer avec un marché des taux désintégré, ce qui n'est pas le cas, par exemple, du Japon ou de l'Australie, où une forme de contrôle de la courbe des taux est mis en œuvre, Un effet secondaire d'une union monétaire sans union budgétaire. Jouer sur toutes les courbes en même temps est une tâche quasiment impossible. Surtout parce que des inégalités orwelliennes menacent, qui ne résisteront pas au test de financement monétaire. D'autant que l'on ne peut pas vraiment compter non plus sur une union politique.
Les taux européens à long terme ont perdu environ trois points de base après l'allocution de Lagarde. Aujourd' hui, ce mouvement a déjà été en grande partie compensé. C'est là que réside le grand danger d'une perte de crédibilité. Les déclarations n'ont de sens que si le marché a le sentiment qu'elles découlent d'une véritable volonté. Sinon, à terme, elles peuvent même s'avérer contre-productives. La parole est d'argent, le silence est d'or. Cette leçon apprise après ses interventions contre la hausse trop rapide de l'euro l'année dernière, la "chouette sage" - comme Lagarde se définit elle-même - ne l'a pas retenue. Pourquoi brandir la menace d'une baisse du taux de dépôt alors que le seuil de tolérance (EUR/USD à 1,30 plutôt qu'à 1,20) n'est pas encore atteint? Et nous passons sur les divisions au sein même de la BCE quant à l'utilité d'une telle action. Pourquoi mettre en garde contre des taux à long terme plus élevés si ceux-ci reflètent, après plus d'une décennie, des prévisions d'inflation plus élevées (et toujours inférieures à 2%)?
Pour rendre la situation encore plus douloureuse pour la patronne de la BCE, rappelons les propos qu'elle avait tenus au début de la crise du Covid: "la BCE pas là pour réduire les spreads”. C'est ce qui s'appelle un virage à 180°!
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC