Les "shorters" ne sont pas le diable

Les marchés

La chasse aux "shorters" est ouverte, ce qui provoque de fortes fluctuations de cours. Gamestop, Nokia, AMC Entertainment, Blackberry, Wereldhave ... ont connu connu des séances pour le moins mouvementées. La notion de "gamma squeeze" se banalise, alors que les "shorters", tant diabolisés, ont une nouvelle fois dû ravaler leurs paris stratégiques. Pourtant, ceux-ci contribuent à l'équilibre indispensable entre espoir et crainte, entre "long" et "short".

Du "short squeeze" au "gamma squeeze"

Les tribulations du cours de Gamestop & Co s'expliquent par des raisons techniques plutôt que financières. Les marchés financiers connaissent parfois une situation oùil n'y a pas ou quasiment pas de vendeurs pour absorber une demande soudainement élevée pour des actifs. Les "shorters" viennent alors perturber le fonctionnement normal du marché en étant forcés de clôturer leurs positions à perte. Une bonne nouvelle de l'entreprise sous-jacente, une offre d'acquisition, de nouveaux investisseurs... tous ces facteurs sont susceptibles de déclencher un "short-squeeze”. Le rachat du sous-jacent par les "shorters" pousse le cours de l'actif encore plus à la hausse. La "mère de tous les squeezes” a eu lieu en octobre 2008, lorsque Porsche a secrètement accru sa participation dans Volkswagen à plus de 74%. VW, alors candidat potentiel à une faillite, est alors pendant un moment devenue l'entreprise la plus chère au monde par à cause d'un "Infinity Squeeze".

Comme on le constate sur un forum comme Reddit, il est devenu très facile pour les investisseurs de prendre des positions dans une entreprise par le biais de produits dérivés. Cela peut alors entraîner un "gamma squeeze". Ce phénomène commence lorsqu'un grand investisseur (une "baleine") achète à un rythme soutenu des options d'achat (call) de courte durée sur des actions qu'il possède habituellement. Des groupes de discussion sur des plateformes comme Reddit (WallStreetBets) ou Discord permettent de rassembler des petits investisseurs et de les transformer en baleines. Contrairement à un "short squeeze" ordinaire, la demande d'actions émane des négociants en options eux-mêmes, qui couvrent la vente d'options par le rachat des actions sous-jacentes afin de ne pas courir de risque propre. Ces achats poussent le cours des actions encore plus à la hausse et engendrent une boucle de rétroaction positive. Ce type de "gamma squeeze" serait également à l'origine du krach boursier de mars 2020. Le marché d'actions américain avait alors perdu plus de 10% après des opérations de couverture obligatoires de traders. La position "short gamma" résultait d'options pas entièrement couvertes et d'ETF avec effet de levier.

Ce que nous vivons aujourd'hui avec bon nombre d'entreprises volontiers "shortées" par les investisseurs professionnels est la conséquence d'une "baleine" formée par la coalition d'investisseurs particuliers. La stratégie de ceux-ci porte ses fruits car le fonds à levier Melvin Capital de l'investisseur technologique Gabe Plotkin a été contraint de clôturer sa position dans Gamestop en acceptant une perte énorme. Les hedge funds géants Ken Griffin et Steve Cohen sont venus à la rescousse et ont procédé à une injection de capital de 2,75 milliards de dollars, alors que le fonds a déjà perdu 30% de sa valeur de portefeuille (12,5 milliards de dollars) en 2021.

Les "shorters" ne sont pas le diable. Loin de là.

Les "shorters" apportent une liquidité essentielle et, pour cette raison, ne doivent certainement pas être diabolisés. Des acteurs comme Melvin Capital utilisent souvent le capital qu'ils collectent par le biais de positions "short" pour investir ailleurs via des positions "long" (dans des actions avec l'espoir de voir leur cours grimper). C'est l'essence même d'un fonds à effet de levier. Melvin s'est ainsi positionné "short" sur des détaillants classiques dans le but d'investir les fonds ainsi obtenus dans des géants du commerce électronique comme Alibaba. Mais ces positions ont également dû être vendues à la hâte ces derniers jours. Ce phénomène peut mener à une situation où d'autres investisseurs sont également convaincus qu'ils doivent vendre, déclenchant ainsi une spirale baissière sur de nombreux marchés financiers. Ce phénomène d'achats et de ventes forcés ne prendra fin qu'une fois que les esprits se seront apaisés, mais surtout lorsque les positions à risque auront été entièrement assainies. Un "short squeeze" ou un "gamma squeeze" est donc bien risqué. Diaboliser les "shorters" est, à cet égard, regrettable. Si les investisseurs en actions "ordinaires" tablent sur une hausse du cours, les "shorters" font en fait simplement le contraire. Et ils ne le font que très rarement, après s'être particulièrement bien informés.

Tom Simonts, Senior Financial Economist KBC Group

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