Brexit: panique? Quelle panique?
Oserions-nous compter le nombre de fois où nous avons évoqué des dates limites pour le Brexit? À l’approche du sommet européen de cette semaine, il ne s’agit pourtant plus de semaines ou de jours, mais d’heures. Et une fois de plus, la résolution tant espérée se fait attendre. Les techniciens ont préparé une foule de documents dans divers domaines pour l’organisation pratique de la vie qui devra suivre ce grand divorce. Il est probable que nous arriverons à nous entendre sur les tarifs et les quotas. Ce qui pose problème, c’est plutôt le fond de l’affaire et un dossier symbolique (la pêche). Depuis hier, nous avons une recrudescence du pessimisme. La tension dramatique des débats les a fait passer au plus haut niveau politique. Les deux responsables politiques en dernier ressort, le premier ministre Johnson et la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, ont décidé de sortir de leur bulle de COVID-19 “dans les jours à venir” (pas les heures, donc) pour mener des entretiens bilatéraux. Généralement, ce genre d’évolution est un signe que le dossier est mûr pour qu’une décision soit prise. Or ce n’est pas le cas: les négociations ont commencé sur la base d’un inventaire des points sur lesquels les négociateurs ne parviennent pas à se mettre d’accord.
Le cœur du débat porte sur la manière de concilier la souveraineté britannique nouvellement acquise avec l’accès à une zone de libre-échange. L’UE ne veut pas qu’un “électron libre” mine la cohérence du cadre réglementaire qui est censé traduire des priorités économiques, sociales et autres. De même, dans le cadre du débat sur les autorités compétentes pour décider d’éventuelles violations de l’accord, le problème de la souveraineté se pose immanquablement. Ajoutons à cela une dispute sur un “jeu à somme nulle” économique à valeur symbolique, à savoir, la pêche… La bonne nouvelle, c’est que le dossier est maintenant au niveau où la décision doit effectivement être prise: celui des politiciens, pas celui des techniciens. Le revers de la médaille est que les politiciens ont une base (leur parti, dans les États membres) justement hypersensible à cet aspect symbolique. Le risque politique binaire reste aussi élevé que jamais. Une nouvelle fois, le fameux débat Bruxelles-Hal-Vilvorde nous est involontairement revenu à l’esprit…
Il y a quelques années, si vous aviez prédit que les négociations sur le Brexit seraient loin d’aboutir trois semaines avant la date limite officielle, vous auriez pu vous attendre à une volatilité extrême. De fait, la livre a traversé un peu plus de turbulences hier. Le cours EUR/GBP a évolué dans la fourchette d’une “big figure”, entre environ 0,9140 et 0,9040. L’annonce des négociations entre Johnson et von der Leyen a cependant suffi à limiter les pertes journalières. Les taux britanniques ont reculé de 4 à 7 points de base. C’était un peu plus qu’en Europe aux États-Unis, mais les taux d’intérêt restent assez éloignés des planchers de la fin de l’été. En tout cas, nous ne pouvons pas dire que le marché anticipe une nouvelle décision majeure de la BoE, par exemple sous la forme d’un taux directeur négatif. Relativisons encore un peu plus: hier, le FTSE 100, la bourse britannique, a atteint son niveau le plus élevé depuis la chute due au coronavirus en mars! Pour les marchés mondiaux, le Brexit est surtout un sujet régional, important pour le Royaume-Uni et l’UE, mais d’un impact “limité” au-delà. Le marché est-il trop tranquille ou le Brexit sera-t-il vraiment une tempête dans un verre d’eau, un peu comme le conflit commercial sino-américain?
Pour l’heure, la livre est l’un des thermomètres les plus fiables pour mesurer la fièvre du Brexit – même si la température pourrait encore augmenter. Nous restons prudents vis-à-vis de la devise britannique. Il n’y a pas encore d’accord et même dans ce cas, un comeback durable de la monnaie britannique n’est pas couru d’avance. À plus long terme aussi, le cours EUR/GBP 0,8865 reste un point de repère important.