La banque centrale turque prend une décision importante
Hier, le marché s'est montré plus attentif que d'habitude à la décision de la banque centrale turque (CBTR). Celle-ci se trouvait déjà depuis un certain temps dos au mur, face à une spirale d'inflation haussière qui se renforce et à une devise en chute libre. Pour briser cette spirale, la solution est en principe d'augmenter fortement les taux (réels). En Turquie, les taux réels étaient négatifs (inflation de 11,9% et taux directeur de 10,25% jusqu'à hier). Pas très intéressant pour les investisseurs (étrangers), d'autant plus que les risques liés à une économie comme celle de la Turquie ne manquent pas et méritent donc d'être rémunérés. Cette "action logique" a toutefois été jusqu'il y a peu bloquée par l'"Erdoganomics". Le président turc, qui pèse de tout son poids sur la politique de la CBTR, a régulièrement répété qu'un taux d'intérêt plus élevé avait, selon lui, plutôt tendance à stimuler l'inflation qu'à la refroidir. En fait, Erdogan voulait surtout éviter que des taux trop élevés ne freinent la demande/croissance intérieure. Lorsque, après un premier relèvement modeste en septembre, la CBTR a décidé de ne pas intervenir en octobre, la lire turque a pris un sérieux coup. La paire EUR/TRY a ainsi grimpé au-dessus de 10, alors qu'elle se trouvait encore à 6,5 en début d'année. Plusieurs manipulations monétaires techniques en vue d'endiguer la chute de la devise et réduire la liquidité n'ont pas convaincu les marchés.
Erdogan a mis de côté (du moins temporairement) sa vision économique alternative. Au début du mois, le ministre des Finances et le président de la banque centrale ont été remplacés. Et hier, le nouveau patron de la CBRT, Naci Agbal,a relevé le taux directeur, de 10,25% à 15,00%. Dans sa déclaration de politique, la banque promet de tout mettre en œuvre pour endiguer l'inflation (les attentes d'inflation). Elle va également faire preuve de plus de transparence. Le financement de l'économie se fera désormais à nouveau par le biais du taux directeur (repo à une semaine) et plus via un arsenal de mécanismes de financement alternatifs. Assiste-t-on à un grand revirement orthodoxe de la politique turque? Hier, le marché a déjà réagi de manière positive. La lire a gagné un peu plus de 2% par rapport à l'euro. Cela s'ajoute à une hausse de plus de 10% déjà enregistrée au début du mois, après l'annonce d'Erdogan qu'il allait changer son fusil d'épaule. So far so good.
Quelques remarques s'imposent néanmoins. Le pays a gagné en crédibilité. Reste à savoir quelle marge de manœuvre Erdogan accordera au nouveau patron de la banque centrale, par exemple pour prendre de nouvelles mesures si l'inflation demeure trop élevée ou continue de grimper. Le resserrement est, de plus, moins important qu'il n'y paraît à première vue. Avec tous ces financements alternatifs, le coût de financement pour les banques n'était déjà de facto pas tellement inférieur aux 15% actuels. La lire pourrait aussi être à nouveau sous pression en raison de facteurs non économiques: sentiment général à l'égard du risque ou tensions géopolitiques. Nous pensons notamment à d'éventuelles tensions avec les États-Unis à propos de l'achat de matériel militaire russe. La banque centrale sera-t-elle prête à contrer une baisse de la lire via un nouveau rehaussement de taux pour ce type de raisons? Enfin, last but not least, le resserrement monétaire visant à freiner l'inflation et à rétablir la stabilité financière pèsera presque par définition sur la croissance. Dit autrement: on peut se demander combien de croissance Erdogan est-il prêt à sacrifier pour rétablir cette crédibilité et cette stabilité financière? Ne voudra-t-il pas abaisser de nouveau les taux trop vite?
Hier, la Turquie a fait un pas indispensable pour rétablir le calme sur le marché (des changes). À partir d'aujourd'hui, elle devra "prouver sa détermination". Un plancher s'est créé pour la lire à court terme. À plus long terme, nous ne nous prononçons pas. Il ne faudra pas beaucoup de vents contraires (internes ou externes) pour faire à nouveau douter le marché.