Le siège des conglomérats
La différence de valorisation entre les entreprises branchées (“Must have”) et moins branchées (“Must not have”) n’a jamais été plus importante qu’aujourd’hui. Au-delà de l’explication simpliste qui attribue la distorsion des performances du marché en 2020 aux seules valeurs technologiques, ce sont surtout les entreprises ultra-concentrées qui ont réalisé d’excellentes performances. Plus précisément, la demande d’entreprises (logicielles) verticalement intégrées est apparemment insatiable. Pensez par exemple à des acteurs comme Wayfair, Chewy, Netflix ou Spotify, qui enregistrent une croissance annuelle de plus de 30% grâce à la fidélité de leurs clients. En toute logique, les multiples de valorisation de ce type d’entreprises sont bien supérieurs à ceux d’entreprises moins “in”.
Sous la devise “Lean and Mean” et “Focus”, il est presque naturel que les conglomérats, comme General Electric, Samsung, Hyundai Group et même des géants technologiques comme Google ou Amazon, se retrouvent de plus en plus souvent dans la ligne de mire des investisseurs activistes. Les conglomérats se distinguent des holdings en ce qu’ils contrôlent, gèrent, financent et dirigent diverses entités opérationnelles sous un même parapluie. Les actionnaires activistes veulent jeter par-dessus bord les secteurs d’activité qui n’offrent pas de synergies – avec le management ou non –, obtenir la distribution des liquidités excédentaires, etc., dans le but d’augmenter la valeur de l’action et de stimuler son cours (à court terme, bien entendu).
La semaine dernière, après des années passées à renâcler, IBM a pris les choses en main en consentant enfin à une scission. Elle devient ainsi la première grande entreprise technologique à abandonner ses activités clés initiales pour se concentrer sur le cloud computing et les solutions logicielles, beaucoup plus rentables. De même, le fabricant d’ordinateurs Dell examine “préventivement” les possibilités d’une collaboration stratégique avec VMWare.
La volonté de changement est particulièrement perceptible dans le secteur des télécommunications et des médias. Le gestionnaire de fonds “modérément agressif” Trian Fund Management a récemment pris une participation substantielle dans le câbleur Comcast – la cible la plus massive jamais visée par un activiste. Un peu plus grossier dans son approche, Elliot veut pousser à la hausse le cours d’AT&T à concurrence de 65% grâce à “une orientation stratégique accrue, une efficacité opérationnelle et un meilleur leadership et une meilleure supervision”. Pour sa part, Third Point pointe ses canons sur la politique de dividende de Disney: il vaudrait mieux investir dans le pôle de streaming Disney+.
En un sens, les régulateurs se mettent à leur tour à l’activisme. Dans les semaines à venir, Google et Facebook pourraient être obligés de scinder leurs activités. Les deux entreprises se voient reprocher une position trop dominante sur le marché, de sorte que le législateur estime que Waymo (30 milliards de dollars), YouTube Subscription (40 milliards de dollars), Instagram (293 milliards de dollars) et WhatsApp (120 milliards de dollars) devraient redevenir autonomes.
Un peu d’activisme de la part des actionnaires est souhaitable, car au fil de leur croissance, les entreprises s’égarent parfois dans des projets latéraux peu rentables, trop petits ou trop grands pour elles. Des entreprises locales comme Barco ou Agfa se sont déjà un peu appauvries par des désinvestissements, mais c’est bien le moins. Recticel continue sans succès à tenter de se transformer en un pure player dans le secteur de l’isolation. ENA Capital a réussi à scalper le fabricant de couches Ontex; et depuis le début de l’année, Telenet est sous pression de la part du gestionnaire de fonds activiste CIAM, qui exige un milliard d’euros de dividendes. Aux Pays-Bas, le remarquable processus de réinvention de DSM en un groupe alimentaire pur a donné lieu à un succès boursier comparable à celui d’un acteur fintech.
Qu’il soit doux ou dur, l’activisme maintient le management sur la brèche et optimise la structure du capital. Tôt ou tard, tout défaut dans la cuirasse serait exploité par des actionnaires mécontents qui réclameront des améliorations à court terme. C’est là que le bât blesse, car il vaut parfois mieux continuer à investir à perte que se concentrer sur les bénéfices à court terme. Pensez à Amazon, Spotify ou Tesla: ce n’est pas un hasard si ce sont aujourd’hui des entreprises “Must have”.
Tom Simonts, Senior Financial Economist KBC Group