À quel point le dollar est-il vulnérable?

Les marchés

Cette semaine, nous avons lu avec attention un article du célèbre professeur Stephen Roach, de la non moins réputée Université de Yale, paru dans le Financial Times. Dans cet article, ce dernier explique une nouvelle fois que le dollar américain risque de perdre rapidement son statut privilégié sur les marchés internationaux. Le billet vert pourrait ainsi déjà perdre 35% de sa valeur en 2021. Une fameuse dépréciation. L'article a été largement commenté dans la presse financière et ailleurs.

Roach affirme que les États-Unis épargnent beaucoup trop peu. Au deuxième trimestre, le pays a même fait le contraire, surtout à cause de la hausse rapide du déficit budgétaire, qui n'est pas compensée par d'autres secteurs. Si vous ne disposez d'aucune réserve, vous devez alors, pour vos dépenses (dépenses courantes et investissements), convaincre les épargnants étrangers d'octroyer du crédit à votre pays afin de combler ce déficit de la balance courante des paiements. Celui-ci a bondi à 3,5% du PIB au deuxième trimestre. Ce n'est pas rien, même s'il a déjà été plus important. Pour convaincre l'investisseur étranger, vous devez lui offrir une sorte de "prime". C'est notamment possible via un taux d'intérêt plus élevé. Cette solution est néanmoins de facto bloquée par la Fed. Celle-ci compte en effet maintenir les taux bas pendant très longtemps afin de pousser l'inflation au-dessus de 2,0%. Pour l'investisseur étranger, cela signifie donc un taux d'intérêt réel négatif. Cette piste n'est donc pas envisageable. Selon Roach, cela passera par conséquent par une forte dépréciation du dollar. Une manière de convaincre l'investisseur étranger via une décote. Ce dernier recevra en effet plus d'actifs américains avec son argent. Roach voit aussi le dollar perdre son statut de première monnaie de réserve mondiale. L'euro, le yuan, l'or et peut-être aussi quelques cryptomonnaies se trouvent en embuscade. Doit-on dès lors s'attendre à un effondrement du dollar?

Quelques constats: le dollar a récemment perdu du terrain et la faiblesse des taux réels n'est pas étrangère à cette baisse. Il ne faut toutefois pas oublier qu'au plus fort de la crise du coronavirus, les liquidités en USD étaient toujours considérées comme les actifs les plus sûrs. L'euro et le yen sont arrivés en deuxième position. L'or et le yuan n'ont pas été vus comme tel.

Le statut de première monnaie de réserve implique également une contradiction interne. En principe, vous bénéficiez de ce statut en tant qu'économie la plus forte et la plus fiable. D'un autre côté, pour permettre aux banques centrales de détenir d'importantes réserves de dollars et y investir, le pays de la devise de réserve doit, par définition, disposer d'un certain volume de dette extérieure. Cela reste une histoire de crédibilité. L'euro a progressé d'un cran grâce à une plus grande convergence entre politique budgétaire et politique monétaire (les 750 milliards d'euros du fonds Next Generation de l'UE), mais la construction de l'UEM comporte d'autres restrictions, qui sont prises en compte par les gestionnaires de réserves. Du côté des marchés, les chiffres relatifs au déficit externe américain (le déficit commercial par exemple) sont pour le moment ignorés de facto. Dans le passé, il y a eu des périodes où ces données étaient aussi importantes pour le marché des changes que les "payrolls" aujourd'hui. Pour l'instant, le marché n'est donc pas sensible au déficit américain.

Conclusion: la politique agressive de la Fed joue en défaveur de la devise d'un pays affichant un déficit extérieur important. Nous nous attendons dès lors à ce que le dollar se replie en direction de EUR/USD 1,23 l'année prochaine. Loin de la chute de 35% annoncée par Roach. Les banques centrales d'autres grandes zones (qui présentent souvent un excédent extérieur) mènent également une politique monétaire expérimentale. Sur le plan économique et institutionnel, il n'est pas évident d'imaginer que l'euro puisse rapidement prendre le statut de première monnaie de réserve mondiale. Et encore moins le yen ou le yuan. Il est donc probable que le dollar se déprécie, mais il ne faut pas pour autant s'attendre à un effondrement. 

Figuur - USD pondéré des échanges commerciaux (DXY) 2010-2020 

Bron: Bloomberg

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