Attentes trop élevées
Tel un phénix qui renaît de ses cendres. Hier, le dollar a mis un terme, du moins temporairement, à la rupture technique supérieure à 1,1916 EUR/USD. Le sauvetage a eu lieu pendant les heures de négociation américaines, notamment sous l'effet du procès-verbal de la dernière réunion de la Fed. La banque centrale américaine a maintenu sa politique inchangée en juillet, mais a directement lié le sort de l'économie à la propagation du coronavirus. Depuis cette réunion, le nombre de contaminations (américaines) au coronavirus a continué à augmenter, les gouverneurs de la Fed ont mis en garde contre un scénario de double creux, les premiers chiffres économiques pour le mois d'août (à l'exception du marché immobilier) ont déçu et la prise de bec entre Démocrates et Républicains a abouti au report sine die d'un nouveau coup de pouce fiscal. L'écho du decrescendo de la réalité économique a pris la forme d'un crescendo dans l'espoir de nouvelles actions de la Fed en septembre. Les taux (réels) et le dollar en ont fait les frais. Mais... La déception la plus profonde se cache dans des attentes trop élevées.
Bien que les membres du personnel de la banque centrale américaine se soient effectivement dirigés vers une révision à la baisse des prévisions économiques en septembre, les membres de la Fed n'étaient pas vraiment enclins à trifouiller dans la politique monétaire. Plus précisément, la politique de communication est/était en discussion. Certains gouverneurs restent partisans d'un ancrage encore plus fort de la politique de taux bas. C'est possible, par exemple, en donnant une dimension temporelle à la politique de taux zéro ou en la liant à des objectifs portant sur le niveau d'inflation ou l'emploi. Une autre nouveauté défendue davantage à l'extérieur qu'à l'intérieur de la Fed, à savoir l'introduction de plafonds d'intérêt sur différentes durées, ne bénéficie que d'un faible soutien. La courbe des taux plate et basse actuelle laisse suggérer, selon les autorités monétaires, que le marché a bien compris le message. Y consacrer des moyens supplémentaires dès à présent ne ferait guère avancer les choses. Au lieu d'une action à court terme, la Fed souhaite clôturer l'audit interne de la politique monétaire. Le résultat le plus probable est une concrétisation plus flexible de l'objectif d'inflation de 2%, qui permet de compenser les périodes de baisse de l'inflation par une période d'inflation >2% avant d'entreprendre des actions monétaires en contrepartie.
Mais revenons-en aux marchés. Les taux américains se sont redressés et ont davantage soutenu le billet vert. Le procès-verbal désenchanté de la précédente réunion de la Fed était à l'origine de la pénible émission d'emprunts d'État américains à long terme (20 ans). La semaine dernière, il était également frappant de constater que le marché éprouvait de plus en plus de difficultés à absorber l'offre gigantesque de bons du Trésor américains en raison des incitants fiscaux. Le procès-verbal a encore provoqué un malaise sur les bourses, qui ont cédé leurs gains journaliers contre des pertes, ce qui a encore donné un coup de pouce supplémentaire au billet vert. L'indice américain S&P 500 envoie techniquement un signal ("bearish engulfing") de prises de bénéfices potentielles à court terme. La performance des bourses européennes (-1,5%) laisse supposer qu'il y sera donné suite. L'EUR/USD a finalement clôturé sous la barre de 1,1850. Sauf PMI européens exceptionnellement solides demain, l'EUR/USD semble à court terme se repositionner dans la fourchette située grosso modo entre 1,17 et 1,1950.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC