Ruée sur les obligations à long terme
Depuis quelque temps déjà, les marchés sont le jouet du sentiment général à l’égard du risque. Les fluctuations boursières déterminent en grande partie les prix sur le marché des taux d’intérêt ou des changes. Cependant, les facteurs qui déterminent ce sentiment général à l’égard du risque ne sont pas toujours très clairs. Ces derniers temps, les statistiques économiques ont généralement joué un rôle secondaire. Quoi qu’il en soit, elles ont toujours un temps de retard sur les dernières évolutions liées au coronavirus. Mais même les statistiques quotidiennes relatives au coronavirus (dans le monde entier et surtout aux États-Unis) ne sont pas en relation directe avec les statistiques de marché: jusqu’au début de cette semaine, les nouvelles sombres à ce niveau n’ont pas pour autant freiné la hausse boursière. Apparemment, les marchés sont partis du principe que la recrudescence n’empêcherait pas vraiment la réouverture de l’économie. Or récemment, le marché des taux a donné une image plus nuancée de la situation. Hier, même aux États-Unis, les taux à long terme ont fortement baissé.
Récapitulatif: à la mi-mars, les marchés sont tombés en plein chaos lorsque les investisseurs se sont rendu compte que la crise du coronavirus aurait un impact sans précédent et à long terme sur l’économie mondiale. Tout le monde s’est rué sur les liquidités, le seul actif dont le prix ne fluctue pas en cas de volatilité extrême. Même le marché des obligations d’État sûres n’a plus rempli son rôle de refuge: malgré le risk-off, les taux à long terme ont légèrement augmenté. Les banques centrales sont alors intervenues avec une injection massive de liquidités pour remettre de l’ordre sur les marchés. Et l’on peut dire qu’elles ont remarquablement bien réussi, surtout en ce qui concerne le marché des taux d’intérêt/le marché des obligations d’État. De fait, si nous prenons la courbe des taux américains pour référence, depuis le début du mois d’avril, l’évolution des taux d’intérêt pour les durées jusqu’à 5 ans est négligeable. Mais ce n’est pas seulement dû aux injections massives de liquidités des banques centrales. La Fed et ses homologues ont convaincu le marché qu’il faudra probablement encore quelques années avant que les taux puissent être relevés. Même le taux américain à 10 ans est bloqué dans une fourchette extrêmement étroite d’environ 40 points de base. Seule l’extrémité très longue de la courbe laisse encore un peu de place à un mouvement “autonome”. Jusqu’au début du mois de mai, l’espoir d’un rétablissement plutôt rapide a donné lieu à une hausse des taux à très long terme et à une courbe des taux un peu plus raide. C’est ce qu’on appelle une “activité de reflation” prudente.
Depuis début juin, le marché (des taux) montre cependant une autre facette. Ce n’est pas seulement de la précaution de la part des investisseurs; la chasse au rendement y est aussi pour quelque chose. En effet, si l’on s’attend à ce que les taux à court terme restent proches de zéro pendant encore plusieurs années, il devient tentant de viser un peu plus de rendement sur la courbe. Mais même en ayant à l’esprit cet argument de chasse au rendement et de faible volatilité des taux, un aplatissement relativement marqué de la courbe des taux reste une motion de méfiance. De fait, si les investisseurs se précipitent sur les titres 30 ans à des taux d’intérêt historiquement bas, comme ce fut le cas hier lors d’une vente aux enchères d’obligations d’État aux États-Unis, ce n’est pas un signe d’optimisme à court ou à moyen terme. Jusqu’où cela peut-il aller? Cela dépend dans une large mesure de ce à quoi vous vous attendez de la part des banques centrales. Si vous pensez que la Fed n’aura pas recours aux taux négatifs et que vous êtes prêt à accepter une indemnité minimale pour bloquer votre argent pour (très) longtemps (prime de durée), il serait “logique” que les niveaux de support en place depuis le retour au calme en mars (0,55% à 10 ans, 1,10% à 30 ans) se maintiennent. Des taux américains inférieurs à ces niveaux trahiraient une situation telle que la ou les banque(s) centrale(s) pourraient (devraient) tirer un nouveau lapin de leur chapeau (taux directeur négatif, plus d’achats d’obligations sur le long terme également…?). Espérons que le marché n’en viendra pas à de telles extrémités. En tout cas, nous classons ces taux à très long terme parmi les principaux signaux permettant de comprendre les prévisions du marché quant à l’économie post-coronavirus.