La Fed réfléchit à l'étape suivante
Le procès-verbal de la réunion du 10 juin a révélé que la Fed réfléchissait en détail à sa politique de l'ère post-Covid. La politique restera encore très souple pendant longtemps. La question est de savoir comment mieux l'organiser et mieux la communiquer. Le contrôle de la courbe des taux ("Yield Curve Control") fait partie des options envisageables.
Dans un passé (lointain), la politique monétaire était simple. La banque centrale fixait les taux à court terme au niveau où elle l'estimait nécessaire pour atteindre ses objectifs d'inflation et/ou autres. Le reste, elle le laissait au marché. Après la grande crise financière (GCF), la politique monétaire a profondément changé. Les programmes monétaires spéciaux se sont multipliés. Une des nouveautés de la politique post-GCF est que les banques centrales veulent désormais aussi orienter les taux à long terme. Un taux directeur proche de zéro n'a pas toujours un effet suffisamment stimulant, surtout lorsque l'inflation est faible. Les taux réels restent en effet (trop) élevés dans ces conditions-là. Abaisser les taux à long terme (par le biais d'achats d'obligations) peut donc aussi être une solution pour rendre les conditions monétaires encore plus souples. "Normalement", les investisseurs exigent une prime lorsqu'ils se séparent de leur argent pendant plus longtemps. Les achats d'obligations ont pour effet de diminuer cette "prime d'échéance". La question que se posent certaines banques centrales, parmi lesquelles la Fed, est de savoir s'il faut aller plus loin et fixer des plafonds pour les taux à plus long terme.
La Banque du Japon et la banque centrale australienne (Reserve Bank of Australia ou RBA) font déjà quelque chose qui y ressemble. La RBA maintient ainsi son taux à 3 ans à 0,25%. Il s'agit de facto d'une forme de "forward guidance" , une manière de confirmer votre engagement à ne pas relever rapidement les taux. Si elle parvient à convaincre le marché, la banque centrale devra alors acheter moins d'obligations pour atteindre son objectif. Une sorte de prophétie autoréalisatrice. Aujourd' hui, la Fed achète encore des obligations "de façon illimitée" afin de garantir le bon fonctionnement du marché. Cela permet d'éviter que, dans un mouvement de panique, les actifs comme les obligations d'État connaissent des fluctuations de cours excessives ou soient bradés. Ces marchés fonctionnent aujourd'hui à nouveau plus ou moins normalement.
La Fed doit à présent montrer au marché la manière avec laquelle elle va concrètement organiser sa politique afin d'atteindre au plus vite ses objectifs de stabilité des prix (inflation de 2%) et de plein emploi. Combien de temps la Fed va-t-elle encore acheter des obligations et en quelles quantités? Jusqu' où l'inflation doit-elle grimper ou le chômage baisser pour normaliser la politique? Le contrôle de la courbe des taux s'inscrit dans ce débat. Jusqu' il y a peu, la Fed donnait l'impression de vouloir rapidement s'engager sur cette voie. Le procès-verbal montre toutefois que les avis restent partagés. Si votre "forward guidance" est crédible, pourquoi alors acheter des obligations à court terme? Les achats d'obligations à plus long terme comportent, quant à eux, d'autres risques. Quelle sera la réaction du marché/des taux lorsque vous diminuerez ces achats? Et quid si le marché ne veut plus de taux bas, par exemple en cas de hausse de l'inflation? Dans ce cas, la banque centrale risque de se retrouver bien seule en tant qu'acheteur ou elle devra alors tout de même relever son taux directeur. La probabilité que le contrôle de la courbe des taux soit prochainement adopté aux États-Unis a donc diminué.
L'impact à court terme sur le marché des taux est limité. Les taux à court terme restent extrêmement bas. Personne ne doute que la Fed maintiendra son taux directeur proche de zéro au moins jusqu'en 2022. Pour les taux plus longs, cela signifie que le marché a toujours un rôle à jouer. À court terme, les achats d'obligations et la perspective de taux directeurs toujours bas pèseront encore dans la balance. Pour le moment, les taux à long terme (américains) évoluent au sein d'une fourchette étroite, en fonction du sentiment à l'égard du risque. À terme, ce lien pourrait devenir plus lâche une fois que le marché y verra plus clair sur la reprise "post-corona". Mais ce n'est toutefois pas encore pour demain, au vu de l'accroissement des incertitudes provoqué par le rebond de l'épidémie aux États-Unis.