Nouveau bras de fer entre Américains et Européens
Les relations transatlantiques demeurent tendues. Cela fait déjà quelques années que les États-Unis et l'Union européenne sont en froid dans certains dossiers. Après la Chine, c'est au tour de l'UE d'être qualifiée par Donald Trump de partenaire le plus "déloyal", à cause de son excédent commercial significatif et en hausse vis-à-vis des États-Unis. L'approche adoptée par Trump vis-à-vis de la Chine semble déboucher sur une diminution du déficit de la balance courante et sert donc de source d'inspiration dans la relation avec l'UE. Les intérêts économiques des deux puissances se heurtent sur d'autres terrains. Tout d'abord, l'Europe ne peut que constater à quel point les géants technologiques américains envahissent le marché européen, ne laissant que peu de place aux sociétés européennes et en ne payant, en outre, pratiquement pas d'impôts. Chaque tentative d'introduction d'une taxe numérique européenne provoque systématiquement les foudres de la Maison Blanche. Pourtant, une telle taxe est bel et bien inscrite dans l'ambitieux plan de relance "Next Generation EU" de l'Union européenne. Par ailleurs, les États-Unis continuent de s'immiscer dans les négociations autour de Brexit, ce qui complique encore les discussions entre les ex-partenaires. Enfin, épinglons aussi l'éternelle rivalité entre Airbus et Boeing.
Les tensions transatlantiques viennent de connaitre un nouvel épisode. Les États-Unis agitent à nouveau la menace de taxes supplémentaires notamment sur la bière, le gin, la vodka, les olives et le chocolat, dans le cadre de compensations accordées par l'Organisation mondiale du commerce. Ces mesures porteraient sur plus de 3 milliards de dollars d'importations. Comme lors des précédentes augmentations de droits de douane, l'accent est une nouvelle fois mis sur l'industrie agroalimentaire, qui se retrouve souvent en première ligne lors de conflits commerciaux. En agissant de la sorte, les États-Unis s'attaquent à des produits culturellement sensibles, après que l'UE a riposté aux taxes instaurées sur l'acier et l'aluminium européens en augmentant les droits de douane sur des produits symboliques comme le whisky américain et les Harley Davidson. Avec ce type de mesures, l'aspect psychologique est souvent plus important que l'aspect économique. Mais il est clair qu'il ne s'agit pas de simples petites escarmouches. Et cette confrontation économique entre Américains et Européens - nous insistons sur le fait qu'il ne s'agit pas uniquement d'un conflit commercial - risque de perturber considérablement le processus de reprise après la crise du Covid-19.
Si certains grands pays européens décident demain de concrétiser leurs programmes de relance budgétaire, cela jettera indubitablement à nouveau de l'huile sur le feu. Beaucoup de ces mesures ont pour but de renforcer les entreprises et secteurs nationaux. Les Américains considéreront certainement ces mesures comme des subventions illicites qui portent préjudice à leurs intérêts. Et ce alors que les multinationales américaines peuvent toujours compter sur le billet vert. Même s'ils seront évidemment les bienvenus, ces programmes de relance auront des effets secondaires négatifs sur les relations internationales. Or, les conflits politiques pèsent sur le sentiment économique et risquent donc de freiner la reprise.
Et la situation risque encore d'empirer avec le jugement de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) à propos des aides octroyées par le gouvernement américain à Boeing. Pour le moment, seule l'UE a été condamnée pour des subventions accordées à Airbus, mais un jugement est attendu cet automne dans le dossier de Boeing. On peut s'attendre à ce que l'UE sera autorisée à augmenter ses droits de douane sur des produits américains à titre de compensation et donc à une nouvelle escalade. Il faudrait mettre un terme à cette surenchère. Tous ces événements montrent aussi à quel point l'OMC doit être rapidement réformée. L'organisation joue, à juste titre, son rôle d'arbitre dans les conflits commerciaux internationaux. Mais à cause de lourdeurs bureaucratiques, ce même arbitre est aujourd'hui la cause d'une escalade des tensions.
Une guerre se mène sur de nombreux champs de bataille. Celle que se livrent l'UE et les États-Unis commence à ressembler de plus en plus à une guerre d'usure. Cela pèse sur le sentiment économique. Et ces tensions vont clairement avoir un impact sur la reprise. Les alliés occidentaux d'autrefois se sont aujourd'hui engagés dans une sorte de mission suicide sur le plan économique, alors qu'ils auraient plutôt intérêt à coordonner leurs efforts pour trouver des solutions constructives qui permettraient de renforcer les deux économies et l'économie mondiale dans son ensemble. Le spectre d'une seconde vague de contaminations n'est donc pas la seule menace qui nous préoccupe. La reprise s'annonce compliquée.
Jan Van Hove, KBC Group Chief Economist