Comme un banc de poissons
Le débat autour de la déconnexion entre, d'une part, la flambée des actifs à risque et, d'autre part, les effets catastrophiques sur l'économie des mesures de confinement prises pour lutter contre le coronavirus fait rage depuis déjà longtemps. Et cette montée en puissance du risque ne concerne pas uniquement les bourses. Depuis le pic de la crise en mars, les spreads de crédit se sont aussi fortement resserrés. Une évolution similaire a également été observée sur le marché des changes. Des devises moins liquides et de taille plus modeste, qui avaient été désertées en mars, ont ainsi effectué une belle remontée. Certaines d'entre elles (AUD, SEK) ont même déjà effacé leurs pertes. D'un autre côté, les positions de repli en USD ont été progressivement démantelées, ce qui a pesé sur le dollar.
Hier, ce mouvement synchronisé des marchés s'est subitement interrompu. Les bourses américaines ont perdu jusqu'à 7% de leur valeur! La raison? Multiples, mais aussi plutôt diffuses. Plusieurs institutions internationales, comme l'OCDE, ont publié des prévisions économiques négatives cette semaine, en particulier dans l'hypothèse d'une nouvelle flambée du virus. Les perspectives de croissance décevantes rendues publiques par la Fed ce mercredi sont également invoquées pour expliquer la chute des cours. Hier, le marché a également été perturbé par des nouvelles selon lesquelles le virus reprendrait vigueur dans certains États américains. Un argument vaut l'autre. Dans le communiqué de la Fed, nous n'avons ainsi rien lu qui aurait pu peser sur le sentiment. Le président de la banque centrale américaine s'est engagé à continuer à mettre tout en œuvre pour soutenir l'économie et le fonctionnement du marché. À une question qui lui était posée à propos des éventuels excès créés sur les bourses par la politique accommodante actuellement menée, Powell a répondu de façon laconique que la Fed essayait simplement de garantir le bon fonctionnement des marchés.
Un "nihil obstat" donc. Le rallye boursier avait déjà commencé à montrer des signes d'essoufflement en début de semaine. Les nouvelles d'hier ont poussé certains investisseurs à prendre leurs bénéfices. Sur un marché unidirectionnel, tout peut alors aller très vite. Lors d'un tel repositionnement, il ne faut généralement pas chercher une explication logique. Les marchés réagissent à la manière d'un banc de poissons. Chaque individu se fraye son propre chemin, mais au final, le banc évolue de manière plus ou moins synchronisée: tout le monde suit tout le monde. Plus terre à terre, les traders sur le marché évoquent plutôt des mouvements guidés par la corrélation.
La réaction observée hier s'est traduite par un net recul des bourses et par une ruée vers les obligations d'État, considérées comme plus sûres, et le dollar. Les plus petites devises ont reculé d'un cran, généralement pour des raisons qui n'ont rien à voir avec leur propre situation. Les dollars australien et néo-zélandais se sont ainsi tous les deux repliés, alors que le virus a quasiment disparu dans ces deux pays. Le mouvement est donc généralisé et n'épargne personne.
À quoi faut-il s'attendre pour la suite ? La progression des marchés de ces dernières semaines était surtout due aux mesures budgétaires et monétaires ambitieuses prises par les autorités qu'à l'espoir d'une reprise économique rapide. En cas de nouvelle flambée du virus, les autorités devront se montrer plus sélectives dans leurs soutiens. L'attitude du marché n'est donc, à cet égard, pas totalement injustifiée. Le marché va-t-il désormais jouer pleinement cette carte et reléguer au second plan les conditions monétaires favorables créées par les banques centrales? L'évolution du virus demeure une grande inconnue, mais nous nous en tenons pour le moment à une correction. Dans cette hypothèse, les taux américains et européens pourraient doucement atteindre un plancher dans les prochains jours/prochaines semaines. Dans ce scénario, il ne faudra alors pas (encore) s'attendre à une forte remontée du dollar. Le cours EUR/USD a relativement bien résisté hier et a encore tenté ce matin de passer la barre de 1,13.