Powell déçoit les marchés
Au cours de ces dernières années, l'investisseur (en actions) a grosso modo pris l'habitude de se positionner de façon positive à la veille d'une décision de politique ou de toute autre communication importante de la Fed. Même dans un climat économique moins favorable (ou incertain), la Fed n'a jamais hésité à donner un coup de pouce monétaire. Avec, quasi systématiquement, un impact positif sur les marchés. On en était même arrivé à penser qu'une mauvaise nouvelle pouvait souvent être considérée comme une bonne nouvelle sur le marché. Cela n'a pas été le cas hier. Le président de la banque centrale américaine, Jerome Powell, a expliqué sa vision de l'économie et a mis les points sur les "i" à propos des taux négatifs. Les marchés des futures s'étaient en effet depuis peu mis à anticiper un taux directeur négatif en 2021.
Powell a insisté sur la grande incertitude qui règne actuellement. Avec l'arrêt brutal de l'économie, un manque initial de liquidité pourrait dégénérer en insolvabilité. Le tissu économique pourrait être perturbé pendant longtemps et le chômage menace de rester élevé. Le retour sur le marché du travail risque d'être très compliqué pour certains. Le président de la Fed a ainsi cité une enquête qui indique que 40% des ménages américains gagnant moins de 40.000 dollars par an ont perdu leur emploi en mars. La conclusion est que les autorités devront dégager encore plus de moyens si l'on veut éviter des dommages à long terme sur le tissu économique, malgré le coût élevé que cela implique. Powell appelle donc le politique à en faire plus. La Fed participera en offrant du financement bon marché.
À première vue, ce discours pourrait aussi être classé dans la catégorie: "les nouvelles sont mauvaises, mais nous allons régler cela". Mais cette fois, le marché a interprété le message de manière totalement différente. "Nous faisons ce que nous pouvons, mais mêmes ces mesures de sauvetage ambitieuses ne permettront pas de réparer tous les dégâts". Les bourses se sont donc repliées après ce message peu réjouissant de Powell.
Petite parenthèse. Une fois de plus, il est frappant de constater à quel point la dynamique entre les banques centrales et les autorités budgétaires a évolué. "Auparavant", les politiques budgétaire et monétaire s'équilibraient l'une l'autre. Lorsque les autorités budgétaires donnaient un grand coup d'accélérateur, les autorités monétaires avaient plutôt tendance à appuyer légèrement sur le frein. Ce paradigme n'est plus valable aujourd'hui. Désormais, les banquiers centraux appellent surtout les gouvernements à augmenter leurs dépenses, tout en garantissant des conditions de financement favorables. Christine Lagarde a, elle aussi, déjà plaidé à plusieurs reprises en ce sens. Et dans une interview hier, le président de la Banque d'Angleterre, Andrew Bailey, a déclaré sans trop de nuances que la BoE était prête à financer les dépenses du Trésor. Nous ne savons pas si cela a été dit avec ironie, mais il convient de rappeler l'importance de l'indépendance et de la crédibilité de la banque centrale!
Encore quelques mots à propos du taux directeur. Powell s'est montré catégorique. La Fed n'a pas l'intention de faire passer son taux directeur en négatif. Elle estime que les autres options (rachats de titres, soutien au crédit, injections de liquidités et "forward guidance") fonctionnent bien. La banque n'est pas convaincue de l'avantage d'une telle mesure en termes de coûts/bénéfices. Cela a donné un coup de pouce au dollar, qui s'était replié plus tôt dans la journée. Malgré le message clair de Powell, le débat autour des taux n'est peut-être pas encore totalement clos. Le marché table en effet encore sur une probabilité, certes très limitée, de taux négatifs au milieu de l'année prochaine. Pourquoi pas? Ne vit-on pas une période exceptionnelle et imprévisible?