Taux négatifs aux États-Unis?!
La banque centrale américaine (Fed) est rapidement passée d'une fourchette de 1,5%/1,75% à une fourchette de 0%/0,25% pour son taux directeur. Le niveau plancher de 0%, ou "Zero Lower Bound" (ZLB) dans le jargon, a donc été atteint. La plupart des analystes s'accordent toutefois à dire que la barre pour un passage du taux directeur en négatif demeure relativement élevée. La Fed n'est en effet pas convaincue de l'utilité d'une telle mesure et se voit d'ailleurs confortée dans son opinion par ce qui se passe, par exemple, au Japon et en Europe. Cela fait en effet plusieurs années que les taux sont négatifs dans ces deux régions, avec des résultats pour le moins discutables. La Suède a également tenté d'appliquer cette recette, mais elle a fait marche arrière à la fin de l'année passée et ne semble pas prête à rééditer l'expérience. Le marché des taux monétaires américain semble pourtant avoir délivré un message différent hier.
La courbe des futures sur le taux des Fed Funds reflète les attentes du marché concernant l'évolution de la politique monétaire de la banque centrale américaine. En d'autres termes, elle donne une idée de l'évolution attendue des taux à très court terme. Or, cette courbe est tombée pour la première fois de son histoire sous la barre de 0% hier! Les investisseurs tablent sur un taux négatif à partir de la fin de cette année et tout au long de 2021. Rien ne sert toutefois de dramatiser: pour le moment, les prévisions font état d'un taux à peine négatif de -0,03%. Mais l'événement nous paraît toutefois important d'un point de vue symbolique.
De nombreux actifs à risque ont beaucoup progressé ces dernières semaines. Le marché d'actions américain a notamment rebondi de façon spectaculaire. Hier, l'indice Nasdag, qui comporte beaucoup de valeurs technologiques, a même affiché une légère progression par rapport au début de l'année. Ce rallye s'explique principalement par l'espoir d'un redémarrage de l'économie, quasiment paralysée à cause du coronavirus, et par les capacités de relance (perçues comme inépuisables) des autorités. L'activité est d'ailleurs en train de reprendre timidement. Bientôt, vous et moi pourrons nous lancer dans un voyage exotique vers un magasin autre qu'un supermarché. Mais le retour à la normale, tout progressif qu'il soit, ira inévitablement de pair avec le risque d'une nouvelle vague de contaminations. Si tel devait être le cas, de nouvelles mesures de confinement devront alors être prises, avec le risque que celles-ci soient encore plus sévères que les précédentes.
Et c'est peut-être ce que le marché (monétaire) américain a commencé à anticiper hier. Nous sommes surtout frappés par la période visée (fin 2020-2021). La plupart des mesures auront probablement été retirées d'ici au troisième trimestre. Face à la progressivité de l'approche mise en œuvre et l'arrivée de l'été, il est possible que le Covid-19 repasse pendant un moment au second plan. Certains segments des marchés financiers pourraient donc encore poursuivre sur leur lancée. Mais que se passera-t-il avec le retour de l'hiver au quatrième trimestre et au début de l'année prochaine? L'évolution du virus est évidemment impossible à prévoir. Mais cela n'empêche pas certains investisseurs de commencer à tabler sur un possible second confinement. Les marges budgétaires et monétaires restantes pour compenser un tel schéma de reprise en W sont extrêmement limitées. En mars, le président de la Fed, Jerome Powell, excluait encore la possibilité de taux négatifs. Pour les marchés, cette piste ne semble en revanche plus si inimaginable.