La ruée vers le dollar touche-t-elle à sa fin?
Il n’y a pas encore si longtemps, une volatilité faible était à l’ordre du jour, y compris sur le marché des changes. Le moins qu’on puisse dire est que les choses ont changé ce mois-ci… La paire EUR/USD a connu des hauts et des bas aux alentours de 1,14 et 1,0650. Le dollar a commencé par baisser, le marché ayant anticipé que la crise du coronavirus obligerait la Fed à abaisser les taux: c’est désormais chose faite. De nombreuses autres mesures d’urgence ont également ouvert grand les vannes monétaires. La chute du dollar a rapidement été suivie d’une forte hausse, due à la ruée vers des liquidités en USD. En quête d’espèces (en dollar), les investisseurs ont vendu tous leurs actifs dans un contexte où de nombreuses entreprises aux États-Unis et à l’étranger ont également voulu couvrir leurs obligations en USD par la détention d’espèces. Ajoutez à cela une préférence généralisée pour les actifs et devises les plus liquides et vous obtenez une ruée à fonds perdus vers le dollar. Lors de fortes tensions, le billet vert demeure une valeur-refuge. Il serait prématuré d’affirmer que la tension extrême sur les marchés a atteint son pic; pourtant, le rallye du dollar a déjà pris fin. À quoi peut-on s’attendre pour la suite?
Malgré les incertitudes, pour l’instant, les planchers boursiers se maintiennent. Cela peut être le signal d’un ralentissement du rythme effréné des “braderies” d’actifs à risque. De même, la vente forcée d’obligations (d’État) se justifie moins. La Fed et les autres banques centrales sont prêtes à acheter à tour de bras: cela a fait diminuer la demande de dollars. En outre, la Fed a mis en place d’importantes lignes de swap avec de nombreuses banques centrales, pour assurer une quantité suffisante de liquidités en USD en dehors des États-Unis. Toutes les (grandes) banques centrales veillent à avoir des liquidités excédentaires, ce qui a théoriquement un impact neutre sur les devises.
Le dollar a pour ainsi dire totalement perdu son avantage de taux. Difficile d’ignorer le sentiment que les États-Unis sont quelque peu à la traîne dans leurs efforts pour maîtriser le coronavirus; les stabilisateurs automatiques (comme la sécurité sociale, etc.) sont probablement plus au point en Europe. Ces derniers jours, d’aucuns ont prédit que la réticence des dirigeants européens à financer la crise au niveau européen par le biais de l’émission d’obligations corona aurait un impact négatif sur l’euro. Mais nous n’en sommes pas persuadés: le nouveau programme d’achats d’urgence face à la pandémie (Pandemic Emergency Purchase Programme, ou PEPP), qui permet à la BCE d’acheter des obligations de tous les pays de l’UEM sans restrictions, a d’ores et déjà apaisé le marché obligataire de l’UEM. Pendant ce temps, les ministres des Finances préparent une réponse fiscale européenne. Les pays pourraient faire appel au Mécanisme européen de stabilité (MES), une sorte d’incitant fiscal soumis à conditions et adossé à des achats d’obligations de la BCE. Les pays les plus touchés, comme l’Espagne et l’Italie, plaideront sans nul doute pour une plus grande solidarité et un incitant fiscal majeur au niveau européen. Une crise politique ouverte inaugurerait un chapitre euro-négatif. Mais si nous évoluons vers une approche relativement structurée au sein d’un cadre existant, ce ne sera pas nécessairement plus préjudiciable à la devise que la “politique d’annonce” fiscale américaine, qui laisse planer de nombreuses incertitudes sur la manière dont les moyens financiers mis en œuvre atteindront l’économie réelle.
Des nouvelles (économiques) relativement négatives pour les États-Unis, un cadre institutionnel européen qui devrait être au moins aussi à même que le cadre américain à faire face à la crise et plusieurs facteurs techniques (swaps, etc.) pourraient suffire à stabiliser le cours EUR/USD. L’USD pourrait suivre un schéma de vente à la hausse. Cependant, une chute en deçà de 1,09 remet en question cette hypothèse relativement optimiste. La prochaine zone de référence technique importante se situe à 1,1250 EUR/USD.