La BCE ne pourra pas freiner la hausse de l'euro
La présidente de la BCE, Christine Lagarde, avait certainement imaginé un autre scénario au moment de succéder au "plombier monétaire" italien, Mario Draghi, à la fin de l'année passée. Après une dernière offensive en septembre, Lagarde, qui s'est définie elle-même comme une "chouette sage", a voulu recentrer le débat sur une approche plus verte et une meilleure diversité des genres au sein de l'institution de Francfort, tout en commandant une revue stratégique de la politique monétaire de la banque. Après seulement trois mois, la Française a déjà été rappelée à la dure réalité. La BCE se trouve de nouveau en état d'alerte maximum. Mais que peut-elle et veut-elle encore faire?
La confiance aveugle placée en la BCE et en sa capacité à pouvoir amortir n'importe quel choc via des mesures d'assouplissement avait déjà été ébranlée une première fois en septembre. Avec les mouvements de marché observés depuis la mi-février, on oublierait facilement qu'une atmosphère de crise avait déjà dominé le marché (des taux) l'été dernier (en août). À l'époque, la confiance était au plus bas à cause des discussions sur le Brexit et des négociations commerciales entre les États-Unis et la Chine et l'économie, en fin de cycle, menaçait de plonger. La Fed avait alors réagi en procédant à des baisses de taux préventives et la pression sur la BCE s'était accrue. À l'approche de la réunion de septembre, le marché des taux à court terme européen s'était mis à anticiper plusieurs assouplissements consécutifs (jusqu'à -0,70%). Il avait dû déchanter. La baisse du taux de dépôt de (seulement) 10 points de base s'était accompagnée d'une sérieuse mise en garde: les coûts marginaux d'un taux encore plus négatif sont plus importants que les gains marginaux que cela générerait. La politique monétaire avait brûlé toutes ses cartouches. Draghi (et Lagarde par la suite) se sont alors plus que jamais tournés vers la politique budgétaire pour protéger, si nécessaire, l'économie d'éventuels chocs négatifs. Et les marchés ont eu une réaction révélatrice. Les taux européens et l'euro sont en effet partis à la hausse malgré la baisse de taux, le nouveau discours (plus bas pendant plus longtemps) et le modeste redémarrage des achats d'actifs (20 milliards d'euros par mois).
La pression sur la BCE est de nouveau particulièrement élevée. Le marché des taux à court terme mise de nouveau sur des baisses de taux. En outre, il est aussi question d'injections de liquidités en faveur des PME, d'une augmentation des achats mensuels d'actifs et d'une "forward guidance" encore plus prononcée. Il est encore impossible de savoir ce que la BCE va finalement décider. Mais nous voulons d'ores et déjà tempérer les attentes, surtout au niveau des taux. Dans son discours officiel, la BCE explique vouloir prendre des mesures "ciblées". Mais il y a encore beaucoup de résistance, comme on a pu le constater après la téléconférence exceptionnelle organisée entre les ministres des Finances du G7 et leurs banquiers centraux la semaine dernière. La montagne a finalement accouché d'une souris. Si les autorités ont expliqué suivre la situation de près, la déclaration commune n'a fait état d'aucun plan d'action coordonné tel que celui qui avait été déployé en 2008/2009. Deux heures après cette annonce, la Fed l'a joué solo et a abaissé son taux directeur de 50 points de base.
En ce qui concerne la réaction des marchés, nous pensons que le contenu des mesures de la BCE n'aura pas d'importance. Comme en septembre, la conclusion sera que la BCE a désormais épuisé toutes ses munitions. Les espoirs dans ce que peut encore faire la politique monétaire et ce que veut actuellement faire la politique budgétaire vont encore recevoir un coup. Pour le marché des taux européen, cela signifie probablement la fin des illusions, surtout sur la partie courte de la courbe. Pour l'euro, nous craignons une nouvelle hausse "non désirée" face à un dollar faible. Ce n'est qu'une question de temps avant que le cours EUR/USD ne rompe définitivement la barre de 1,1412. La prochaine zone de résistance technique importante se situe à 1,16-1,1650.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC