Inquiétude? Quelle inquiétude?
Nombreux sont les économistes qui tentent actuellement d'évaluer l'impact du coronavirus. Qu'en est-il du recul de la demande en Chine? Cette situation va-t-elle encore durer longtemps? Dans quelle mesure cette crise va-t-elle perturber les livraisons en provenance de la Chine? Avec quelles répercussions aux États-Unis et en Europe? Tous ces calculs sont basés sur des hypothèses incertaines et leurs résultats peuvent donc prêter à discussion. Toutefois, le moins que l'on puisse dire, c'est que les marchés gèrent pour le moment très bien ce climat d'incertitude. Si l'on en juge par les mouvements observés sur les bourses, les incertitudes liées au coronavirus avaient déjà atteint leur apogée au début du mois de février, lorsque le marché chinois a rouvert ses portes après les célébrations du Nouvel An. Depuis, les cours n'ont plus cessé de grimper. Ainsi, les indices américains S&P500 et Nasdag ont encore battu de nouveaux records historiques hier. Et l'indice allemand Dax teste lui aussi de nouveaux sommets ce matin. Un constat d'autant plus surprenant que l'actualité est aujourd'hui dominée par le regain d'instabilité politique en Allemagne suite à la rupture du cordon sanitaire autour de l'AfD en Thuringe.
2020 s'annonçait comme une année moins marquée par les risques événementiels. Cela allait permettre à l'économie mondiale, et surtout à une économie européenne particulièrement mal en point, de reprendre des couleurs, dans un contexte un peu plus stable. Les banques centrales allaient pouvoir sortir de l'état d'alerte dans lequel elles se trouvent pour pouvoir, le cas échéant, venir à la rescousse de l'économie. L'année n'est vieille que d'un mois et demi et nous avons déjà assisté à trois risques événementiels (les tensions entre les États-Unis et l'Iran, l'épidémie du coronavirus et l'instabilité politique en Allemagne). En outre, on peut aussi se demander dans quelle mesure les trouble-fête de l'année passée (guerre commerciale, Brexit) ont réellement disparu. Et pourtant, la demande pour les actifs à risque ne montre encore aucun signe d'essoufflement. Loin de nous l'idée d'attribuer les mouvements des marchés mondiaux à une seule variable (les taux), mais il est tout de même impossible de passer sous silence le décalage entre, d'une part, la remontée des bourses et, d'autre part, la difficulté des taux à décoller de leurs récents planchers.
Il est logique que le marché s'attende à ce que la Chine soit prête à prendre des mesures monétaires et budgétaires en cas de ralentissement prolongé et trop important de la croissance. En outre, le marché s'attend manifestement de plus en plus à ce que la crise du coronavirus incite les banques centrales en dehors de la Chine à maintenir leurs politiques accommodantes, voire à les assouplir encore davantage si nécessaire. Ainsi, le marché table sur une baisse de taux de la Fed cet automne et considère un second assouplissement en fin d'année comme de plus en plus probable.
En résumé, le marché est plus que jamais convaincu que les risques événementiels pourront et seront amortis par les banques centrales. À cet égard, lors de son audition devant le Congrès tout à l'heure, Powell sera certainement interrogé sur la manière avec laquelle la Fed compte réagir s'il apparaît que les dégâts causés par le coronavirus sont plus importants que prévu. Ce n'est pas la première fois que nous faisons (devons faire) ce constat, mais cette certitude que les banques centrales seront toujours disposées à intervenir pour éloigner toutes les menaces, internes et externes, a pour effet de créer un climat de calme "artificiel" sur les marchés. Les primes de risque et de volatilité demeurent faibles, voire très faibles, sur quasiment tous les marchés et ce, malgré tous les discours sur les incertitudes et les risques.
Petite digression. Mais en est-ce vraiment une? La faible volatilité sur l'ensemble des marchés, en ce compris le marché des changes, est également un facteur qui contribue à la baisse constante de la paire EUR/USD. Le différentiel de taux joue évidemment en faveur du dollar et, jusqu'à nouvel ordre, l'économie américaine répond également beaucoup mieux aux attentes que l'économie européenne. Un contexte de volatilité (extrêmement) faible constitue néanmoins aussi un facteur de support pour les "long carry trades" sur le cours USD/EUR. Pourquoi renoncer à un beau différentiel de taux si les mouvements de cours absolus demeurent limités et que la tendance tourne, jusqu'à nouvel ordre, toujours à votre avantage? Une sorte de cercle vertueux. Cela ne va évidemment pas durer éternellement. La tendance pourrait s'inverser en cas de bonnes surprises en Europe ou de très mauvaises nouvelles aux États-Unis. Mais ce n'est pas encore le cas à l'heure actuelle et la faible volatilité continue de jouer son rôle.