Les défis derrière la façade du Brexit
Nos amis britanniques se rendent aux urnes demain. Les sondages prédisent une nette victoire des Tories, le parti conservateur de Boris Johnson. Si les sondages se sont souvent trompés dans le passé, les chances du flamboyant Premier ministre semblent cette fois bel et bien réelles. Faisant preuve d'un grand sens tactique, ce dernier est parvenu à ramener son parti, navire à la dérive depuis le référendum de 2016, à bon port. En cas de majorité claire, l'approbation de l'accord de retrait signé avec l'UE sera alors enfin à portée de main. La société britannique veut tourner la page du Brexit, de préférence le plus rapidement possible.
Les enjeux de ces élections ne se limitent pas seulement au Brexit. Le débat sur le Brexit est profondément enraciné dans la complexité de la société et de la politique britanniques. L'issue du référendum de 2016 et le chaos politique qui s'en est suivi sont le reflet d'un pays en proie à des changements fondamentaux et à une forte polarisation dans de nombreux domaines. Cela est principalement dû à la rapide désindustrialisation qu'a connue l'économie britannique (voir le graphique). Beaucoup de secteurs d'activité ont alors rapidement décliné, abandonnant ainsi des régions entières et leur population à leur triste sort. Cela a logiquement débouché sur beaucoup de misère sociale, une absence de perspectives et un rejet de la politique en général. L'importante immigration, autour de laquelle il n'y a eu quasiment aucune vision politique, n'a fait qu'accentuer des problèmes tels que le chômage, les faibles revenus, la mauvaise qualité des logements et des services sociaux défectueux. Les élections de demain porteront donc aussi sur ces thèmes. Le parti travailliste (Labour) de Jeremy Corbyn les a d'ailleurs placés en tête de son programme. Beaucoup critiquent les projets de Corbyn en les qualifiant de communistes. Les propositions du travailliste pour la mise en place d'un État-providence inspiré du modèle continental comportent de facto quelques touches extrêmes. Avec le projet de Corbyn, les prélèvements publics britanniques connaîtraient une forte augmentation, en direction de 50% du PIB, ce qui est tout de même toujours inférieur au niveau que l'on connaît en Belgique. Dans cette surenchère politique, le parti conservateur a également déclaré vouloir investir davantage dans les hôpitaux, les logements sociaux et les soins de santé. Pas vraiment leurs domaines de prédilection, mais en période électorale, toute créativité est toujours la bienvenue, y compris des promesses hors du commun.
Les défis qui attendent le futur gouvernement sont considérables. La philosophie de marché anglo-saxonne a bien profité au Royaume-Uni dans le passé. Au cours de ces dernières décennies, le pays a pu enregistrer une croissance économique plus forte que celle des autres pays d'Europe occidentale, avec un faible taux de chômage et une solide dynamique au niveau de l'innovation et des investissements étrangers. Cela a permis d'accélérer la transition d'une économie industrielle vers une économie largement tournée sur les services. Mais le monde politique n'a pas suffisamment tenu compte des conséquences individuelles et sociales de ces changements. Le référendum sur le Brexit n'a donc été qu'une première expression de ce mécontentement au sein de la société britannique. Aujourd'hui, de plus en plus de voix s'élèvent pour que l'État investisse davantage dans la sécurité sociale, l'enseignement et une réindustrialisation du pays.
Les élections de cette semaine pourraient, à première vue, ressembler à une sorte de sondage sur le Brexit. Mais en réalité, le scrutin de demain portera sur bien d'autres sujets fondamentaux. Ces dernières années, le Brexit a été une sorte de façade derrière laquelle se cachaient de nombreux problèmes de la société. Le prochain gouvernement devra absolument s'attaquer à ces défis. Et cette tâche sera particulièrement compliquée étant donné l'impact qu'aura le Brexit sur la croissance économique. Mais grâce à la dynamique et à la flexibilité de son économie, le pays finira par se remettre de cette expérience traumatisante.
Les marchés accueilleront à bras ouverts une victoire de Boris Johnson. Ils n'attendent en revanche rien d'une aventure à gauche toute, sous la houlette de Corbyn. Le véritable défi commencera après les élections. "It will be a hell of job."