Interférence entre les politiques budgétaire et monétaire
L'indépendance des banques centrales a longtemps été considérée comme un dogme auquel il était impossible de toucher. Ces banques centrales étaient en mesure de donner un coup de frein lorsque la politique budgétaire appuyait trop sur l'accélérateur. "Tout le monde" était convaincu que cette complémentarité permettrait de maintenir l'économie en équilibre.
Or, cette indépendance a récemment été remise en cause de différentes manières. Certains responsables politiques estiment que les banques centrales devraient/pourraient en faire plus pour soutenir l'action des gouvernements. Et la politique monétaire d'après crise s'est également, peut-être involontairement, davantage aventurée sur le terrain de la politique budgétaire. Les banques centrales affirment évidemment que les taux extrêmement bas et les achats d'actifs avaient pour objectif d'écarter les risques déflationnistes. Mais, dans les faits, les mesures prises ont aussi été d'une grande aide pour la politique budgétaire (forte réduction des taux d'intérêt) et le programme d'achat d'obligations a par ailleurs permis d'atténuer la pression des marchés sur les gouvernements plus endettés. Une nouvelle forme d'interaction (potentiellement) plus étroite entre les politiques budgétaire et monétaire a en outre fait son apparition il y a peu. Certaines banques centrales (parmi lesquelles la BCE) plaident en effet pour que la politique budgétaire soit davantage mise à contribution, notamment aussi parce que leur arsenal monétaire commence tout doucement à s'épuiser. Dans ce qui suit, nous nous penchons sur deux exemples récents qui illustrent bien ce débat.
Cela fait déjà longtemps que le président américain Donald Trump estime que la Réserve fédérale devrait le soutenir davantage dans sa politique de croissance. Ainsi, Trump a à plusieurs reprises fait savoir que, comme d'autres administrations, il aimerait aussi recevoir de l'argent pour emprunter. Une politique monétaire plus souple devrait en outre rendre le dollar plus faible. Hier, le président de la Fed, Jerome Powell, a été invité à la Maison Blanche pour un entretien "informel". Les deux parties ont finalement campé sur leur position. La banque centrale a déclaré que Powell allait maintenir la ligne qu'il avait exposée devant le Congrès la semaine passée: les taux ont suffisamment été abaissés et la Fed préfère désormais temporiser. Trump a quant à lui expliqué dans un tweet qu'il avait une nouvelle fois énuméré tous ses griefs. Les mouvements sur les marchés sont restés limités, mais le dollar a tout de même perdu du terrain une fois que le contenu de la rencontre a filtré dans les médias. Le marché "redoute" en effet une possible ingérence. En outre, le billet vert s'essouffle après un mois d'octobre très solide. Avec un cours EUR/USD frôlant 1,1075, l'alerte pour l'euro est de nouveau suspendue pour un moment.
L'interaction entre les politiques monétaire et budgétaire est également d'une importance non négligeable pour les taux. Depuis le mois d'août, les taux dans l'UEM se sont bien redressés pour différentes raisons. Le marché espère une issue favorable au conflit commercial. Cela pourrait relancer l'activité, y compris dans une industrie manufacturière actuellement en grande difficulté.
Malgré l'assouplissement de la BCE en septembre, il est clairement apparu qu'il ne fallait vraisemblablement plus s'attendre à d'autres interventions (alors que le marché en anticipait déjà beaucoup plus). Les taux du marché ont cherché un équilibre à un niveau plus élevé ne tenant compte de pratiquement plus aucune baisse de taux. Nous pensons que l'idée d'une plus grande contribution de la politique budgétaire a aussi participé en partie à la hausse des taux. La récente pause observée dans cette hausse des taux (tant aux États-Unis qu'en Europe) est surtout due aux incertitudes autour de l'accord commercial. Mais le débat autour du rôle de la politique budgétaire a probablement aussi pesé dans la balance en Europe. Pour cela, les yeux se sont surtout tournés vers les pays affichant une situation budgétaire saine, comme l'Allemagne. La semaine passée, l'Allemagne a surpris en échappant de justesse à une récession au troisième trimestre, avec un maigre taux de croissance de 0,1%. Les responsables politiques allemands en ont rapidement conclu que l'Allemagne n'avait pas besoin de mesures de relance exceptionnelles et que la rigueur budgétaire pouvait être maintenue. Ce débat n'est pas encore clôturé et les taux européens pourraient encore grimper si les risques circonstanciels liés la guerre commerciale et/ou au Brexit ne menacent plus (ou moins) l'économie. Dans ce cas, les arguments en faveur d'une plus grande stimulation budgétaire pourraient perdre de leur poids. Dans ce scénario, l'amélioration économique pourrait alors faire perdre de la puissance à l'un des "moteurs" de la hausse des taux. À moins que la nouvelle Commission européenne ne décide d'implémenter la stimulation budgétaire à un niveau plus élevé, à savoir européen? Affaire à suivre…