La BCE laisse en grande partie les choses suivre leur cours
Hier, la BCE s'est bien inspirée de la Fed au moment de publier ses nouvelles prévisions d’inflation. Premièrement : augmentez le pic d’inflation à court terme à cause d’une sous-estimation il y a trois mois (2021 : de à 1,9 % à 2,2 %). Deuxièmement : admettez qu’il faudra plus de temps pour que l’inflation retombe à ses niveaux d'avant la pandémie (2022 : de 1,5 % à 1,7 %). Troisièmement : accrochez-vous, quoiqu'il arrive, au caractère "temporaire" de la poussée inflationniste (2023 : de 1,4 % à 1,5 %). Cette prévision sur le long terme est en effet déterminante pour la politique ultra-accommodante de la BCE. Pour enfoncer le clou, les prévisions de septembre tiennent même compte, par rapport à juin, d’une hausse des prix pétroliers, d’un affaiblissement de l’euro, d’une baisse des taux d’intérêt et d’un recul légèrement plus prononcé du taux de chômage. Enfin : répétez le processus après trois mois. L’inflation américaine a entre-temps déjà passé trois mois consécutifs au-dessus de 5 %. L’inflation européenne a quant à elle atteint 3 %. Cela fait un peu penser à la vision de la politique monétaire à la Peter Pan du gouverneur de la Banque du Japon Kuroda : si vous y croyez suffisamment fort, l’inflation refera surface (Japon) ou fondra comme neige au soleil (UE/États-Unis).
L’attitude vis-à-vis de l’inflation a provoqué le seul mouvement du marché avant/pendant/après la conférence de presse de Lagarde. L’euro et les taux européens se sont légèrement repliés. Le premier mouvement a été rapidement neutralisé, le second a tenu jusqu’à la fin. La partie longue de la courbe a perdu quatre points de base. La seule véritable adaptation de politique est passée inaperçue. La BCE achètera désormais des obligations à un rythme plus lent dans le cadre du programme d’achats d’urgence face à la pandémie (PEPP). L'assouplissement des conditions financières (euro relativement plus faible, taux plus bas et bourses plus robustes) et le renforcement de l'économie justifient cette décision. La patronne de la BCE, Christine Lagarde, a subtilement ajouté qu’il s’agissait d'un recalibrage de la politique et pas du début de la réduction des achats nets. Paraphrasant à mauvais escient Margaret Thatcher, elle a déclaré : "the Lady's not for tapering". Ce clin d'œil ne colle pas vraiment avec Lagarde, figure autoproclamée du consensus, que ce soit au niveau du caractère ou au niveau du message. N'en faisait généralement qu'à sa tête, la dame de fer avait prononcé la phrase "the Lady is not for turning" pour refuser un assouplissement de politique (budgétaire) malgré des conditions économiques moroses. En guise d'extra, nous rappellerons une autre citation de l'ancienne Première ministre britannique : "Being powerful is like being a lady. If you have to tell people you are, you aren't" ("Être puissant, c'est comme être une femme. Si vous avez besoin de le dire, c'est que vous ne l'êtes pas").
L’antipode de Thatcher a surtout mis l’accent sur la réunion de décembre. À ce moment-là, il faudra trancher sur l’avenir après mars 2022 et donc après le PEPP. Pour éviter une diminution trop marquée des achats nets, et comme les prévisions d’inflation le justifient toujours, l’autre programme d’achats de la BCE (l'APP) devra prendre le relais. La question est de savoir : pendant combien de temps et à quel rythme ? En clair : le PEPP a vu le jour à cause de la situation exceptionnelle de la pandémie, alors que l’APP fait désormais partie des meubles. Au trimestre prochain, le PEPP tournera probablement à un rythme de 60-70 milliards d’euros par mois et l’APP à un rythme de 20 milliards d’euros par mois. Les déclarations des gouverneurs de la BCE gagneront en importance dans les prochains mois.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC