Élections: la nouvelle incertitude du Brexit
Depuis le 24 juin 2016, les décideurs politiques britanniques et européens, les entreprises, les consommateurs et le marché tentent de se faire une idée de ce que pourrait signifier le Brexit. Très vite, il est apparu que l'arbre de décision du Brexit était un enchevêtrement de branches sauvages. Jusqu'ici, aucune de ces branches n'a permis d'arriver à un résultat viable. Hier, cet arbre rebelle du Brexit s'est vu pousser une nouvelle branche: de nouvelles élections le 12 décembre. Les optimistes y voient une dernière étape en direction d'une décision sur le Brexit, mais ce ne serait pas la première fois que leurs espoirs seraient déçus. La réaction du marché ne laissait en tout cas place à aucune équivoque. La livre sterling s'est refusée à tirer quelque conclusion que ce soit et a clôturé la journée à un niveau inchangé.
Le parti travailliste a accepté l'idée de nouvelles élections après la réponse positive donnée par l'UE à la demande de report (ou non) émanant du Royaume-Uni, qui écartait le risque d'un Brexit sans accord. Les Libéraux et le parti écossais SNP, eux, étaient déjà partants pour des élections. Après quelques discussions sur la date, la Chambre des communes a marqué son accord sur l'organisation de nouvelles élections. Somme toute, le Royaume-Uni en est aujourd'hui à nouveau au même point que le 23 juin 2016, ou presque. À cette différence près qu'à l'époque, "tout le monde" jugeait un Brexit improbable. Le nouvel arbre de décision ne fait que multiplier à nouveau les issues possibles. Au moins quatre partis sont susceptibles d'obtenir une représentation significative au Parlement, de sorte que la répartition finale des sièges est imprévisible. L'hypothèse d'un parlement sans majorité n'est d'ailleurs pas à exclure. À en croire les sondages, Boris Johnson est en sa qualité de figure de proue du Brexit le favori. Il devra toutefois pour ce faire réussir un périlleux grand écart: d'une part ne pas concéder trop de voix aux partisans d'un Brexit "dur" réunis autour de Nigel Farage, et d'autre part conserver les faveurs des conservateurs modérés. Malgré son expérience des campagnes électorales, il s'agit pour Boris Johnson d'un grand pas politique dans l'inconnu. On en oublierait d'ailleurs presque que "théoriquement", les élections ont aussi trait à d'autres thèmes que le Brexit. Le parti travailliste a ainsi un programme résolument axé sur les nationalisations, la redistribution et les dépenses en faveur de la santé et de l'enseignement. Si l'attention des électeurs venait à se reporter davantage sur les autres thèmes, ce ne serait pas nécessairement à l'avantage de Boris Johnson.
Une campagne électorale enflammée n'est généralement pas un contexte propice à la formation d'une vision nuancée, mais le Brexit sur lequel l'électeur doit se prononcer peut encore revêtir différentes formes. Nigel Farage est partisan d'un Brexit "dur". Boris Johnson défend "son" Brexit plus modéré, qui d'après le NIESR (l'institut de recherche économique et sociale) nuira à terme davantage à l'économie britannique que l'incertitude persistante au sujet du Brexit. Le parti travailliste veut quant à lui négocier un nouvel accord plutôt "soft" avec l'UE et le soumettre à la population lors d'un nouveau référendum. Les Libéraux-démocrates, eux, préféreraient un abandon pur et simple du Brexit. Il y a donc Brexit et Brexit…
Les marchés, y compris la livre sterling, éprouvent depuis trois années déjà des difficultés à réagir de manière cohérente face au Brexit. Pour un investisseur, un risque binaire aux rebondissements imprévisibles est difficile à parer. Les élections n'arrangent rien à la visibilité à court terme. La livre est à présent le jouet des sondages. Nous partons du principe qu'une victoire du parti travailliste ou de Nigel Farage serait un scénario défavorable pour la devise. Dans le premier cas parce que le programme du parti travailliste n'est pas favorable au marché; dans le deuxième cas à cause du Brexit "dur". Si Boris Johnson obtient la majorité, la livre sera débarrassée de l'incertitude induite par le Brexit. Un résultat méritoire pour les Libéraux-démocrates et, partant, une possibilité inespérée de renoncer au Brexit serait théoriquement aussi un scénario favorable pour la livre sterling. Ceux d'entre vous à qui ce nouvel arbre de décision inspire une opinion tranchée peuvent se risquer à lancer les paris. Pour notre part, nous nous attendons surtout à une période de volatilité pour la livre sterling, au gré de l'actualité du jour. Vu les négociations difficiles encore à venir au sujet de la nouvelle relation commerciale avec l'UE, nous sommes d'avis que le cours de la livre tient déjà dans une large mesure compte des bonnes nouvelles.