Un rebondissement crucial dans la saga du Brexit
Le Brexit. Il y avait longtemps… depuis lundi, en fait. Vu la vitesse à laquelle les événements se succèdent dans ce dossier de nos jours, cela peut vraiment paraître une éternité. Hier, un vote crucial a eu lieu au parlement britannique. Une fois de plus… Dans le passé, les "jours J pour le Brexit" comme celui-là ne nous menaient généralement pas beaucoup plus loin qu'au constat que tout était encore possible. Après quoi nous nous remettions à attendre le prochain "moment décisif". Mais cette fois, le vote d'hier nous réservait vraiment un rebondissement crucial dans la saga du Brexit.
Hier avait lieu le vote sur le fameux "Withdrawal Agreement Bill" (WAB), le texte transposant dans la législation britannique le tout nouvel accord de sortie de l'Union européenne. L'amendement Letwin approuvé samedi exige en effet que le gouvernement mette d'abord au point le cadre législatif national. La bonne nouvelle est que les parlementaires britanniques ont approuvé les principes généraux du texte (et donc l'accord sur le Brexit) par une majorité assez nette: 329 voix contre 299. Boris Johnson est parvenu à convaincre pas moins de 19 membres du parti travailliste, compensant ainsi largement l'opposition du camp nord-irlandais. Même la plupart des 21 rebelles conservateurs que le premier ministre avait exclus du parti ont voté en faveur de l'accord. Boris Johnson a donc franchi aisément un obstacle très important, qui n'est cependant que le premier d'une longue série.
Le processus de ratification britannique est particulièrement laborieux. Or, Boris Johnson a promis à l'opinion publique britannique un départ de l'UE au 31 octobre. Il a donc proposé une procédure d'urgence qui permettrait à la Chambre des communes de ratifier tous les détails du WAB d'ici jeudi. Mais pour la plupart des députés (lire: le parti travailliste, qui a préparé toute une série d'amendements), cette proposition dépassait les bornes. Elle a donc été rejetée. Quo vadis?
Le premier ministre a suggéré hier la possibilité d'élections anticipées en cas d'échec au parlement. Le cas échéant, l'issue n'a rien d'une évidence. Les récents sondages sont très favorables au parti conservateur. Mais des élections induisent toujours un grand risque politique, et ce n'est pas Theresa May qui nous contredira. De plus, la majorité parlementaire des 2/3 requise pour l'organisation d'élections ne sera pas simple à obtenir. Et enfin, de nouvelles élections sont peut-être inutiles, du moins avant le Brexit. Le processus de ratification est en ce moment temporairement suspendu en attendant la décision européenne – sans doute favorable – au sujet d'un report du Brexit. L'UE pourrait opter pour une "flextension", avec un Brexit au 31 janvier ou avant cette date, dès le moment où le Royaume-Uni aura tout réglé. Dans ce dernier cas, Boris Johnson pourra faire passer un départ après le 31 octobre comme un "report technique", autrement dit sans perdre la face. Néanmoins, nous n'excluons pas tout à fait le scénario de nouvelles élections. Ce risque est réel dans l'hypothèse où quelques-uns des amendements du parti travailliste (union douanière avec l'UE, référendum au sujet de l'accord sur le Brexit, etc.) venaient à être approuvés et à miner la position du premier ministre.
La livre sterling a commencé à subir de lourdes pertes en mai 2019. Appelons cela l'effet "BoJo", induit par le risque croissant d'un Brexit sans accord. Ces dernières semaines, ce risque s'est systématiquement amenuisé. La livre sterling a signé une remontée impressionnante: le différentiel EUR/GBP avoisine pour l'instant 0,865, venant de 0,93 en août. Un départ avec accord n'avait jamais été aussi concret qu'il ne l'est depuis hier. La menace de nouvelles élections et les querelles politiques ont peut-être fait trembler la livre à court terme, mais un Brexit sans accord n'est vraisemblablement plus à l'ordre du jour. En soi, c'est une bonne nouvelle pour la livre, même si le cours en tient déjà largement compte depuis la récente ascension. Le cap de 0,85 EUR/GBP est appelé à devenir pour la livre une zone de support cruciale, qui ne sera sans doute pas franchie "sans raison".