Imagine…
Nous nous étions promis d'attendre la fin du sommet européen de demain et vendredi pour vous reparler du Brexit dans ces colonnes. On pouvait s'attendre à ce que les rumeurs au sujet du Brexit sèment l'agitation sur le marché, mais il était sans doute encore trop pour faire la clarté sur le dénouement de ce dossier. C'est d'ailleurs toujours le cas aujourd'hui. Toutefois, la tournure que prennent les choses nous a fait céder à la tentation de revenir sur ce thème. Les rumeurs au sujet d'un accord ne se bornent plus à faire grimper la livre sterling. D'autres marchés sont eux aussi en train de se repositionner. Les taux d'intérêt européens, notamment, se rapprochent de leurs premiers niveaux cruciaux. Et l'issue du Brexit est susceptible de déterminer de quel côté le domino va tomber.
Commençons par les négociations. Tout se joue autour du "backstop". D'un côté, personne ne souhaite le retour d'une frontière physique entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande. Mais d'un autre côté, il faudra bien exercer un contrôle sur les marchandises qui passent la frontière à partir du moment où le Royaume-Uni (y compris l'Irlande du Nord) et l'UE ne forment plus un marché unique et appliquent des régimes douaniers différents. La solution s'oriente vers un statut "hybride" de l'Irlande du Nord, avec des contrôles (sélectifs) en mer d'Irlande. Il semblerait que les discussions entre l'UE et le Royaume-Uni au sujet d'un tel accord en soient déjà à un stade assez avancé. Reste à voir comment le premier ministre Johnson parviendra à faire ratifier cette solution par le parlement britannique. À présent que les membres du parti Conservateur lui ont tourné le dos, il ne dispose en effet plus d'une majorité. De plus, l'idée d'un statut "distinct", un peu "à part" du Royaume-Uni, est très difficile à accepter pour le parti unioniste nord-irlandais (DUP). Or, Boris Johnson a désormais besoin du soutien de ce parti. Cette porte serait cependant toujours entrouverte. Le marché, lui, sent que le moment décisif approche et entrevoit une possibilité d'accord. S'il veut éviter un nouveau report, Boris Johnson devra faire ratifier l'accord samedi. Nous sommes donc pour ainsi dire à la veille du point de non-retour, du moment du "tout ou rien". L'expérience que nous avons acquise depuis 2016 nous a appris qu'il est particulièrement risqué de crier victoire trop tôt. Rien n'est certain aussi longtemps que tous les détails n'ont pas été approuvés. Nous allons néanmoins nous autoriser à rêver un peu… Imagine…
Il va sans dire que la séparation aura de lourdes implications pour le Royaume-Uni, qui va devoir repenser en profondeur son modèle d'activité en dehors de l'UE. Mais pour l'Europe aussi, il pourrait s'agir d'un moment charnière. En soi, la séparation n'est sans doute pas avantageuse pour l'Europe non plus. Le seul avantage est qu'un accord balayerait une importante source d'incertitude, ce qui ne peut que profiter à l'économie de l'UEM.
Comparaison n'est pas raison, mais sommes-nous à la veille d'un nouvel "avril 2017"? À l'approche des élections en France, le sentiment à l'égard de l'Europe s'était également fortement détérioré. Par la suite, le fait que le chaos politique ait pu être évité s'est révélé être un moment charnière, aussi pour les marchés. 2017 est finalement entrée dans l'histoire comme une année faste pour l'économie de l'UEM. Même l'euro en a profité.
Pour l'instant, le climat est surtout dominé par l'incertitude. Mais rêvons un peu… Imaginez: une solution est trouvée pour le Brexit. Le conflit commercial qui a sévèrement affecté l'économie n'est pas résolu, mais la possibilité d'une trêve se dessine. Par ailleurs, les gouvernements évoluent lentement mais sûrement vers des incitants fiscaux pour renforcer les actions de la Banque centrale (BCE). Partant de la perspective du marché, nous nous focalisons avant tout sur le taux allemand à 10 ans, qui teste en ce moment une première zone de résistance aux alentours de -0,40%. Cela reste très bas, certes, mais un changement est néanmoins perceptible. En août, seule une évolution à la baisse était concevable. Les obligations allemandes exemptes de risques, même s'assortissant de taux d'intérêt extrêmement bas, étaient perçues sans hésitation comme une bonne assurance contre tous les risques possibles et imaginables, même contre le scénario d'une poursuite du ralentissement économique. En dépit des nouvelles contradictoires (tant sur le front politique qu'économique), les taux d'intérêt émettent désormais un signal un peu moins négatif. Si l'aspect du Brexit était enfin réglé et si les taux d'intérêt parvenaient à poursuivre leur remontée, il pourrait s'agir d'un signe que le marché se prépare enfin à un retour de l'équilibre. Mais évidemment, notre conclusion "positive" commence par… "SI".