2020: l'année de la révolution fiscale
En Allemagne et aux États-Unis, les taux à 10 ans ont hier franchi à la hausse leurs premiers niveaux de résistance, qui restent cependant très bas: respectivement -0,61% et 1,6%. Si cette rupture se confirme, elle pourrait sonner le glas de la tendance à la baisse qui perdure depuis le quatrième trimestre de l'année dernière, et marquer le début d'une évolution latérale. Le cas échéant, nous envisageons des niveaux de -0,4% et 1,93% comme plafonds à court terme. Nous évoquions déjà ces derniers jours la (trop) grande confiance que le marché fonde dans la politique monétaire comme ultime planche de salut. Hier, MNI suggérait encore dans un article reposant sur des sources internes à la BCE que la reprise du programme d'achat d'actifs n'est pas pour tout de suite.
Il se pourrait que dans les années à venir, la politique fiscale se mette à jouer un rôle plus important dans les efforts consentis pour préserver l'économie des lourds revers qui la guette (et, indirectement, pour booster l'inflation à travers la croissance). Depuis l'été, il est de plus en plus question que l'Allemagne serait disposée à utiliser sa marge budgétaire pour lancer des incitants fiscaux. Pour contourner les restrictions constitutionnelles, on envisagerait même la piste d'un budget fictif qui permettrait d'investir dans des infrastructures ou des projets visant à protéger le climat.
L'Allemagne n'est pas la seule à sembler prête à virer de bord. Les ministres des finances européens se réunissent samedi à Helsinki. Selon des documents provenant d'une fuite, ils auraient l'intention de réexaminer les règles budgétaires européennes. Celles qui ont cours actuellement remontent en effet à l'époque de la crise de la dette européenne. À l'époque, l'Europe avait résolument joué la carte de l'austérité pour réduire les déficits budgétaires et l'endettement. Les accents de cette politique pourraient changer. Selon la note, il faudra réserver à l'avenir un plus grand rôle à la politique fiscale en tant que stabilisateur économique. Voilà qui aurait ravi John Keynes. Dans le même document, on peut d'ailleurs lire que les diplomates européens estiment que la politique monétaire a pour ainsi dire atteint ses limites. La nomination de l'Italien Gentolini en tant que nouveau commissaire européen aux affaires économiques peut également être vue comme un signal en faveur d'une politique fiscale moins rigoureuse. C'est un peu le scénario du braconnier qui devient garde-chasse. L'ex-premier ministre est bien placé pour savoir que les incitants fiscaux, combinés à des réformes structurelles, sont un excellent "deus ex machina" pour donner un second souffle à la croissance anémique de l'économie italienne.
Si les pouvoirs publics se mettent à miser pleinement sur les incitants fiscaux, les implications pour les marchés financiers peuvent être énormes. Souvenez-vous de 2016. Le PMI américain pour l'industrie manufacturière stagne en deçà et aux alentours du niveau de 50 points qui marque la frontière entre croissance et contraction dans le secteur. Le cycle de croissance de l'économie américaine, qui perdure depuis la grande crise financière, est menacé d'extinction. Les marchés des taux américains tiennent compte d'un tel scénario de récession. Le taux américain à 10 ans signe un record à la baisse absolu durant l'été de 2016 (1,32%). Six mois et une victoire électorale de Donald Trump plus tard, le taux américain à 10 ans finit l'année à un niveau supérieur à 2,5%. Le "reflation trade" était né. La perspective d'une politique fiscale particulièrement généreuse a galvanisé les prévisions de croissance et d'inflation et a fait grimper les taux d'intérêt, faisant se raidir la courbe des taux. Beaucoup d'eau coulera certes encore sous les ponts du Rhin, de la Seine, de la Meuse et autres avant qu'un tel mouvement ne s'amorce en Europe, mais les premiers contours d'une révolution fiscale se dessinent néanmoins.
Mathias Van der Jeugt, salle des marchés KBC