En route vers un abaissement des taux "logique" de la part de la Fed?
La semaine dernière, nous avons eu droit à une mise à jour détaillée au sujet de l'économie américaine. Nous vous en retraçons ici brièvement les grandes lignes: L'indice de confiance ISM de l'industrie manufacturière trahissait une contraction. La perturbation de la chaîne de production provoquée par le conflit commercial affecte également l'industrie manufacturière américaine. Le secteur des services et l'emploi, eux, tiennent bon. La croissance de l'emploi (130.000 unités) est certes restée quelque peu à la traîne par rapport aux prévisions. À un peu plus long terme, elle parvient néanmoins à maintenir le cap, surtout si l'on tient compte de la longueur du cycle économique et du bas niveau du taux de chômage. Les autres composantes du rapport sur le marché de l'emploi étaient de bon augure. Les salaires ont augmenté plus que prévu et le taux de participation est en hausse. La réaction du marché s'est révélée extrêmement modérée. Le marché n'a pas mis longtemps à en tirer ses conclusions quant à la politique de la Fed. Le marché s'attend(ait) à ce que la Fed abaisse la semaine prochaine le taux directeur de 25 points de base, et a vu dans le rapport sur l'emploi la preuve que ces attentes sont justifiées. Nous vivons en effet une époque où le marché attend davantage des banques centrales que la simple réalisation de leur objectif de croissance et d'inflation. Les banques centrales doivent aussi agir de manière "préventive" lorsqu'elles entrevoient des risques. Et de préférence un peu trop tôt qu'un peu trop tard. La question de la nécessité, à ce stade, d'une nouvelle série d'abaissements des taux, demeure cependant entière. Et a fortiori, il convient de se demander si les attentes formulées à l'égard des banques centrales sont bien réalistes.
Le rôle des banques centrales peut changer, surtout après un tournant dans l'histoire. Avant la crise financière, personne n'aurait attendu un nouvel assouplissement dans le contexte actuel. Il n'est pas anormal que le marché nourrisse des attentes "prononcées" à l'égard de la politique. Mais force est d'admettre que ces attentes vont de nos jours systématiquement dans le sens d'un assouplissement. Les banques centrales doivent avant tout faire preuve de suffisamment de souplesse. Tant la sphère politique que le marché investissent les banques centrales d'une énorme responsabilité. D'aucuns s'accommodent bien de la "toute-puissance" qui leur est attribuée et ne demandent qu'à répondre à cet appel en faveur d'un assouplissement marqué. Pour d'autres, intensifier l'action dans un tel contexte tient moins de l'évidence. Quelle part de responsabilité peut-on confier aux banques centrales? Si l'on attend d'elles qu'elles résolvent tous les problèmes à travers une politique (accommodante), elles risquent de manquer de munitions le jour où elles en auront vraiment besoin pour s'acquitter de leur mission "normale". Par exemple, dans quelle mesure les banques centrales devraient-elles compenser les effets du conflit commercial? La Fed doit-elle "automatiquement" assouplir sa politique à mesure que Donald Trump pousse le conflit commercial à l'extrême? Il serait "plus logique" que la sphère politique résolve le conflit, et que les banques centrales conservent dans ce contexte un rôle secondaire. Et l'on peut dire la même chose de l'insuffisance de mesures structurelles visant à renforcer la croissance, ou de la réticence de certains pouvoirs publics à se servir de la marge de manœuvre fiscale dont ils disposent.
Dans un discours qu'il a prononcé vendredi, le président de la Fed Jerome Powell ne s'est pas départi de son optimisme au sujet de la croissance, mais n'a rien fait non plus pour mettre en doute le scénario d'un abaissement des taux. Dans le contexte actuel, il faut y voir un compromis pour ne pas heurter de front les marchés ni la sphère politique. Reste à voir si à terme, cette attitude servira l'efficacité et l'impact de la politique monétaire. Comme nous l'écrivions la semaine dernière, Christine Lagarde a elle aussi exprimé, lors de son audience au Parlement européen, sa préoccupation quant aux effets secondaires de la politique actuelle censée résoudre tous les problèmes.